Jules Verne

--Ce que tu conclus toi-même? Si. Parfaitement. Nous avons abandonné la couche de granit et la route des laves. Il est possible que je me sois trompé; mais je ne serai certain de mon erreur qu'au moment où j'aurai atteint l'extrémité de cette galerie.

--Vous avez raison d'agir ainsi, mon oncle, et je vous approuverais fort si nous n'avions à craindre un danger de plus en plus menaçant.

--Et lequel?

--Le manque d'eau.

--Eh bien! nous nous rationnerons, Axel.

XX

En effet, il fallut se rationner. Notre provision ne pouvait durer plus de trois jours. C'est ce que je reconnus le soir au moment du souper. Et, fâcheuse expectative, nous avions peu d'espoir de rencontrer quelque source vive dans ces terrains de l'époque de transition.

Pendant toute la journée du lendemain la galerie déroula devant nos pas ses interminables arceaux. Nous marchions presque sans mot dire. Le mutisme de Hans nous gagnait.

La route ne montait pas, du moins d'une façon sensible; parfois même elle semblait s'incliner. Mais cette tendance, peu marquée d'ailleurs, ne devait pas rassurer le professeur, car la nature des couches ne se modifiait pas, et la période de transition s'affirmait davantage.

La lumière électrique faisait splendidement étinceler les schistes, le calcaire et les vieux grès rouges des parois; on aurait pu se croire dans une tranchée ouverte au milieu du Devonshire, qui donna son nom à ce genre de terrains. Des spécimens de marbres magnifiques revêtaient les murailles, les uns, d'un gris agate avec des veines blanches capricieusement accusées, les autres, de couleur incarnat ou d'un jaune taché de plaques rouges, plus loin, des échantillons de ces griottes à couleurs sombres, dans lesquels le calcaire se relevait en nuances vives.

La plupart de ces marbres offraient des empreintes d'animaux primitifs; mais, depuis la veille, la création avait fait un progrès évident. Au lieu des trilobites rudimentaires, j'apercevais des débris d'un ordre plus parfait; entre autres, des poissons Ganoïdes et ces Sauropteris dans lesquels l'oeil du paléontologiste a su découvrir les premières formes du reptile. Les mers dévoniennes étaient habitées par un grand nombre d'animaux de cette espèce, et elles les déposèrent par milliers sur les roches de nouvelle formation.

Il devenait évident que nous remontions l'échelle de la vie animale dont l'homme occupe le sommet. Mais le professeur Lidenbrock ne paraissait pas y prendre garde.

Il attendait deux choses: ou qu'un puits vertical vînt à s'ouvrir sous ses pieds et lui permettre de reprendre sa descente; ou qu'un obstacle l'empêchât de continuer cette route. Mais le soir arriva sans que cette espérance se fût réalisée,

Le vendredi, après une nuit pendant laquelle je commençai à ressentir les tourments de la soif, notre petite troupe s'enfonça de nouveau dans les détours de la galerie.

Après dix heures de marche, je remarquai que la réverbération de nos lampes sur les parois diminuait singulièrement. Le marbre, le schiste, le calcaire, les grès des murailles, faisaient place à un revêtement sombre et sans éclat. A un moment où le tunnel devenait fort étroit, je m'appuyai sur sa paroi.

Quand je retirai ma main, elle était entière ment noire. Je regardai de plus près. Nous étions en pleine houillère.

«Une mine de charbon! m'écriai-je.

--Une mine sans mineurs, répondit mon oncle.

--Eh! qui sait?

--Moi, je sais, répliqua le professeur d'un ton bref, et je suis certain que cette galerie percée à travers ces couches de houille n'a pas été faite de la main des hommes. Mais que ce soit ou non l'ouvrage de la nature, cela m'importe peu. L'heure du souper est venue. Soupons.»

Hans, prépara quelques aliments. Je mangeai à peine, et je bus les quelques gouttes d'eau qui formaient ma ration. La gourde du guide à demi pleine, voilà tout ce qui restait pour désaltérer trois hommes.

Après leur repas, mes deux compagnons s'étendirent sur leurs couvertures et trouvèrent dans le sommeil un remède à leurs fatigues.