Jules Verne

Pour moi, je ne pus dormir, et je comptai les heures jusqu'au matin.

Le samedi, à six heures, on repartit. Vingt minutes plus tard, nous arrivions à une vaste excavation; je reconnus alors que la main de l'homme ne pouvait pas avoir creusé cette houillère; les voûtes en eussent été étançonnées, et véritablement elles ne se tenaient que par un miracle d'équilibre.

Cette espèce de caverne comptait cent pieds de largeur sur cent cinquante de hauteur. Le terrain avait été violemment écarté par une commotion souterraine. Le massif terrestre, cédant à quelque puissante poussée, s'était disloqué, laissant ce large vide où des habitants de la terre pénétraient pour la première fois.

Toute l'histoire de la période houillère était écrite sur ces sombres parois, et un géologue en pouvait suivre facilement les phases diverses. Les lits de charbon étaient séparés par des strates de grès ou d'argile compacts, et comme écrasés par les couches supérieures.

À cet âge du monde qui précéda l'époque secondaire, la terre se recouvrit d'immenses végétations dues à la double action d'une chaleur tropicale et d'une humidité persistante. Une atmosphère de vapeurs enveloppait le globe de toutes parts, lui dérobant encore les rayons du soleil.

De là cette conclusion que les hautes températures ne provenaient pas de ce foyer nouveau; peut-être même l'astre du jour n'était-il pas prêt à jouer son rôle éclatant. Les «climats» n'existaient pas encore, et une chaleur torride se répandait à la surface entière du globe, égale à l'Equateur et aux pôles. D'où venait-elle? De l'intérieur du globe.

En dépit des théories du professeur Lidenbrock, un feu violent couvait dans les entrailles du sphéroïde; son action se faisait sentir jusqu'aux dernières couches de l'écorce terrestre; les plantes, privées des bienfaisantes effluves du soleil, ne donnaient ni fleurs ni parfums, mais leurs racines puisaient une vie forte dans les terrains brûlants des premiers jours.

Il y avait peu d'arbres, des plantes herbacées seulement, d'immenses gazons, des fougères, des lycopodes, des sigillaires, des astérophylites, familles rares dont les espèces se comptaient alors par milliers.

Or c'est précisément à cette exubérante végétation que la houille doit son origine. L'écorce élastique du globe obéissait aux mouvements de la masse liquide qu'elle recouvrait. De là des fissures, des affaissements nombreux; les plantes, entraînées sous les eaux, formèrent peu à peu des amas considérables.

Alors intervint l'action de la chimie naturelle, au fond des mers, les masses végétales se firent tourbe d'abord; puis, grâce à l'influence des gaz, et sous le feu de la fermentation, elles subirent une minéralisation complète.

Ainsi se formèrent ces immenses couches de charbon que la consommation de tous les peuples, pendant de longs siècles encore, ne parviendra pas à épuiser.

Ces réflexions me revenaient à l'esprit pendant que je considérais les richesses houillères accumulées dans cette portion du massif terrestre. Celles-ci, sans doute, ne seront jamais mises à découvert. L'exploitation de ces mines reculées demanderait des sacrifices trop considérables. A quoi bon, d'ailleurs, quand la houille est répandue pour ainsi dire à la surface de la terre dans un grand nombre de contrées? Aussi, telles je voyais ces couches intactes, telles elles seraient encore lorsque sonnerait la dernière heure du monde.

Cependant nous marchions, et seul de mes compagnons j'oubliais la longueur de la route pour me perdre au milieu de considérations géologiques. La température restait sensiblement ce qu'elle était pendant notre passage au milieu des laves et des schistes. Seulement, mon odorat était affecté par une odeur fort prononcée de protocarbure d'hydrogène. Je reconnus immédiatement, dans cette galerie, la présence d'une notable quantité de ce fluide dangereux auquel les mineurs ont donné le nom de grisou, et dont l'explosion a si souvent causé d'épouvantables catastrophes.

Heureusement nous étions éclairés par les ingénieux appareils de Ruhmkorff.