Jules Verne

--Éteint?

--Oh! éteint depuis cinq cents ans.

--Eh bien! répondit mon oncle, qui se croisait frénétiquement les jambes pour ne pas sauter en l'air, j'ai envie de commencer mes études géologiques par ce Seffel... Fessel... comment dites-vous?

--Sneffels, reprit l'excellent M. Fridriksson.»

Cette partie de la conversation avait eu lieu en latin; j'avais tout compris, et je gardais à peine mon sérieux à voir mon oncle contenir sa satisfaction qui débordait de toutes parts; il prenait un petit air innocent qui ressemblait à la grimace d'un vieux diable.

«Oui, fit-il, vos paroles me décident; nous essayerons de gravir ce Sneffels, peut-être même d'étudier son cratère!

--Je regrette bien, répondit M. Fridriksson, que mes occupations ne me permettent pas de m'absenter; je vous aurais accompagné avec plaisir et profit.

--Oh! non, oh! non, répondit vivement mon oncle; nous ne voulons déranger personne, monsieur Fridriksson; je vous remercie de tout mon coeur. La présence d'un savant tel que vous eût été très utile, mais les devoirs de votre profession...»

J'aime à penser que notre hôte, dans l'innocence de son âme islandaise, ne comprit pas les grosses malices de mon oncle.

«Je vous approuve fort, monsieur Lidenbrock, dit-il, de commencer par ce volcan; vous ferez là une ample moisson d'observations curieuses. Mais, dites-moi, comment comptez-vous gagner la presqu'île de Sneffels!

--Par mer, en traversant la baie. C'est la route la plus rapide.

--Sans doute; mais elle est impossible à prendre.

--Pourquoi?

--Parce que nous n'avons pas un seul canot à Reykjawik.

--Diable!

--Il faudra aller par terre, en suivant la côte. Ce sera plus long, mais plus intéressant.

--Bon. Je verrai à me procurer un guide.

--J'en ai précisément un à vous offrir.

--Un homme sûr, intelligent?

--Oui, un habitant de la presqu'île. C'est un chasseur d'eider, fort habile, et dont vous serez content. Il parle parfaitement le danois.

--Et quand pourrai-je le voir?

--Demain, si cela vous plaît.

--Pourquoi pas aujourd'hui?

--C'est qu'il n'arrive que demain.

--A demain donc,» répondit mon oncle avec un soupir.

Cette importante conversation se termina quelques instants plus tard par de chaleureux remerciments du professeur allemand au professeur islandais. Pendant ce dîner, mon oncle venait d'apprendre des choses importantes, entre autres l'histoire de Saknussemm, la raison de son document mystérieux, comme quoi son hôte ne l'accompagnerait pas dans son expédition, et que dès le lendemain un guide serait à ses ordres.

XI

Le soir, je fis une courte promenade sur les rivages de Reykjawik, et je revins de bonne heure me coucher dans mon lit de grosses planches, où je dormis d'un profond sommeil.

Quand je me réveillai, j'entendis mon oncle parler abondamment dans la salle voisine. Je me levai aussitôt et je me hâtai d'aller le rejoindre.

Il causait en danois avec un homme de haute taille, vigoureusement découplé. Ce grand gaillard devait être d'une force peu commune. Ses yeux, percés dans une tête très grosse et assez naïve, me parurent intelligents. Ils étaient d'un bleu rêveur. De longs cheveux, qui eussent passé pour roux, même en Angleterre, tombaient sur ses athlétiques épaules. Cet indigène avait les mouvements souples, mais il remuait peu les bras, en homme qui ignorait ou dédaignait la langue des gestes. Tout en lui révélait un tempérament d'un calme parfait, non pas indolent, mais tranquille. On sentait qu'il ne demandait rien à personne, qu'il travaillait à sa convenance, et que, dans ce monde, sa philosophie ne pouvait être ni étonnée ni troublée.

Je surpris les nuances de ce caractère, à la manière dont l'Islandais écouta le verbiage passionné de son interlocuteur. Il demeurait les bras croisés, immobile au milieu des gestes multipliés de mon oncle; pour nier, sa tête tournait de gauche à droite; elle s'inclinait pour affirmer, et cela si peu, que ses longs cheveux bougeaient à peine; c'était l'économie du mouvement poussée jusqu'à l'avarice.