Certes, à voir cet homme, je n'aurais jamais deviné sa profession de chasseur; celui-là ne devait pas effrayer le gibier, à coup sûr, mais comment pouvait-il l'atteindre?
Tout s'expliqua quand M. Fridriksson m'apprit que ce tranquille personnage n'était qu'un «chasseur d'eider», oiseau dont le duvet constitue la plus grande richesse de l'île. En effet, ce duvet s'appelle l'édredon, et il ne faut pas une grande dépense de mouvement pour le recueillir.
Aux premiers jours de l'été, la femelle de l'eider, sorte de joli canard, va bâtir son nid parmi les rochers des fjörds[1] dont la côte est toute frangée; ce nid bâti, elle le tapisse avec de fines plumes qu'elle s'arrache du ventre. Aussitôt le chasseur, ou mieux le négociant, arrive, prend le nid, et la femelle de recommencer son travail; cela dure ainsi tant qu'il lui reste quelque duvet. Quand elle s'est entièrement dépouillée, c'est au mâle de se déplumer à son tour. Seulement, comme la dépouille dure et grossière de ce dernier n'a aucune valeur commerciale, le chasseur ne prend pas la peine de lui voler le lit de sa couvée; le nid s'achève donc; la femelle pond ses oeufs; les petits éclosent, et, l'année suivante, la récolte de l'édredon recommence.
[1] Nom donné aux golfes étroits dans les pays scandinaves.
Or, comme l'eider ne choisit pas les rocs escarpés pour y bâtir son nid, mais plutôt des roches faciles et horizontales qui vont se perdre en mer, le chasseur islandais pouvait exercer son métier sans grande agitation. C'était un fermier qui n'avait ni à semer ni à couper sa moisson, mais à la récolter seulement.
Ce personnage grave, flegmatique et silencieux, se nommait Hans Bjelke; il venait à la recommandation de M. Fridriksson. C'était notre futur guide.
Ses manières contrastaient singulièrement avec celles de mon oncle.
Cependant ils s'entendirent facilement. Ni l'un ni l'autre ne regardaient au prix; l'un prêt à accepter ce qu'on lui offrait, l'autre prêt à donner ce qui lui serait demandé. Jamais marché ne fut plus facile à conclure.
Or, des conventions il résulta que Hans s'engageait à nous conduire au village de Stapi, situé sur la côte méridionale de la presqu'île du Sneffels, au pied même du volcan. Il fallait compter par terre vingt-deux milles environ, voyage à faire en deux jours, suivant l'opinion de mon oncle.
Mais quand il apprit qu'il s'agissait de milles danois de vingt-quatre mille pieds, il dut rabattre de son calcul et compter, vu l'insuffisance des chemins, sur sept ou huit jours de marche.
Quatre chevaux devaient être mis à sa disposition, deux pour le porter, lui et moi, deux autres destinés à nos bagages. Hans, suivant son habitude, irait à pied. Il connaissait parfaitement cette partie de la côte, et il promit de prendre par le plus court.
Son engagement avec mon oncle n'expirait pas à notre arrivée à Stapi; il demeurait à son service pendant tout le temps nécessaire à nos excursions scientifiques au prix de trois rixdales par semaine[1]. Seulement, il fut expressément convenu que cette somme serait comptée au guide chaque samedi soir, condition _sine qua non_ de son engagement.
[1] 16fr. 08 c.
Le départ fut fixé au 16 juin. Mon oncle voulut remettre au chasseur les arrhes du marché, mais celul-ci refusa d'un seul mot.
«Efter,» fit-il.
Après,» me dit le professeur pour mon édification.
Hans, le traité conclu, se retira tout d'une pièce.
«Un fameux homme, s'écria mon oncle, mais il ne s'attend guère au merveilleux rôle que l'avenir lui réserve de jouer.
--Il nous accompagne donc jusqu'au...
--Oui, Axel, jusqu'au centre de la terre.»
Quarante-huit heures restaient encore à passer; à mon grand regret, je dus les employer à nos préparatifs; toute notre intelligence fut employée à disposer chaque objet de la façon la plus avantageuse, les instruments d'un côté, les armes d'un autre, les outils dans ce paquet, les vivres dans celui-là. En tout quatre groupes.
Les instruments comprenaient:
1° Un thermomètre centigrade de Eigel, gradué jusqu'à cent cinquante degrés, ce qui me paraissait trop ou pas assez.