Jules Verne

Cependant J.-T. Maston crut devoir se rendre à l'invitation, et, quand il fut en présence des commissaires- enquêteurs, il ne dissimula pas qu'on l'ennuyait fort en interrompant ses occupations habituelles.

Une première question lui fut adressée :

Le secrétaire du Gun-Club savait-il où se trouvaient actuellement le président Barbicane et le capitaine Nicholl?

« Je le sais, répondit J.-T. Maston d'une voix ferme, mais je ne me crois point autorisé à le dire. »

Seconde question :

Ses deux collègues s'occupaient-ils des préparatifs nécessaires à cette opération du changement de l'axe terrestre?

« Cela, répondit J.-T. Maston, fait partie du secret que je suis tenu d'observer, et je refuse de répondre. »

Voudrait-il donc communiquer son travail à la Commission d'enquête, qui jugerait s'il était possible de laisser s'accomplir les projets de la Société?

« Non, certes, je ne le communiquerai pas!… Je l'anéantirais plutôt!… C'est mon droit de citoyen libre de la libre Amérique de ne communiquer à personne le résultat de mes travaux!

- Mais, si c'est votre droit, monsieur Maston, dit le président John H. Prestice d'une voix grave, comme s'il eût répondu au nom du monde entier, peut-être est-ce votre devoir de parler en présence de l'émotion générale, afin de mettre un terme à l'affolement des populations terrestres? »

J.-T. Maston ne croyait pas que ce fût son devoir. Il n'en avait qu'un, celui de se taire : il se tairait.

Malgré leur insistance, leurs supplications, malgré leurs menaces, les membres de la Commission d'enquête ne purent rien obtenir de l'homme au crochet de fer. Jamais, non! jamais on n'aurait pu croire qu'un entêtement aussi tenace se fût logé sous un crâne en gutta-percha!

J-T. Maston s'en alla donc comme il était venu, et, s'il fut félicité de sa vaillante attitude par Mrs Evangélina Scorbitt, il est inutile d'y insister.

Lorsque l'on connut le résultat de la comparution de J.-T. Maston devant les commissaires-enquêteurs, l'indignation publique prit des formes véritablement alarmantes pour la sécurité de cet artilleur à la retraite. La pression ne tarda pas à devenir telle sur les hauts représentants du gouvernement fédéral, si violente fut l'intervention des délégués européens et de l'opinion publique, que le ministre d'État, John S. Wright, dut demander à ses collègues l'autorisation d'agir _manu militari_.

Un soir, le 13 mars, J.-T. Maston était dans le cabinet de Balistic-Cottage, ­ absorbé dans ses chiffres, quand le timbre du téléphone résonna fébrilement.

« Allô!… Allô!… murmura la plaque, agitée d'un tremblotement qui dénonçait une extrême inquiétude.

- Qui me parle? demanda J.-T. Maston.

- Mistress Scorbitt.

- Que veut mistress Scorbitt?

- Vous mettre sur vos gardes!… Je viens d'être informée que, ce soir même… »

La phrase n'était pas encore entrée dans les oreilles de J.- T. Maston, que la porte de Balistic-Cottage était rudement enfoncée à coups d'épaules.

Dans l'escalier qui conduisait au cabinet, extraordinaire tumulte. Une voix objurguait. D'autres voix prétendaient la réduire au silence. Puis, bruit de la chute d'un corps.

C'était le nègre Fire-Fire, qui roulait de marche en marche, après avoir en vain tenté de défendre contre les assaillants le « home » de son maître.

Un instant après, la porte du cabinet volait en éclats, et un constable apparaissait, suivi d'une escouade d'agents.

Ce constable avait ordre de pratiquer une visite domiciliaire dans le cottage, de s'emparer des papiers de J.-T. Maston, et de s'assurer de sa personne.

Le bouillant secrétaire du Gun-Club saisit un revolver, et menaça l'escouade d'une sextuple décharge.

En un instant, grâce au nombre, il était désarmé, et main basse fut faite sur les papiers, couverts de formules et de chiffres, qui encombraient sa table.

Soudain, s'échappant par un écart brusque, J.-T. Maston parvint à s'emparer d'un carnet, qui, vraisemblablement, renfermait l'ensemble de ses calculs.

Les agents s'élancèrent pour le lui arracher ­ avec la vie, s'il le fallait…

Mais, prestement, J..T.