Jules Verne

Les crépuscules et les aubes allongeraient les jours d'une quantité toujours égale. On vivrait au milieu d'un équinoxe perpétuel, tel qu'il se produit le 21 mars et le 21 septembre sur toutes les latitudes du globe, lorsque l'astre radieux décrit sa courbe apparente dans le plan de l'Équateur.

« Mais le phénomène climatérique le plus curieux, et non le moins intéressant, ajoutaient avec raison les enthousiastes, ce sera l'absence de saisons! »

En effet, c'est grâce à l'inclinaison de l'axe sur le plan de l'orbite, que se produisent ces variations annuelles, connues sous les noms de printemps, d'été, d'automne et d'hiver. Or, les Joviens ne connaissent rien de ces saisons. Donc les Terrestriens ne les connaîtraient plus. Du moment que le nouvel axe serait perpendiculaire à l'écliptique, il n'y aurait ni zones glaciales ni zones torrides, mais toute la Terre jouirait d'une zone tempérée.

Voici pourquoi.

Qu'est-ce que c'est que la zone torride? C'est la partie de la surface du globe comprise entre les Tropiques du Cancer et du Capricorne. Tous les points de cette zone jouissent de la propriété de voir le Soleil deux fois par an à leur zénith, tandis que pour les points des Tropiques, ce phénomène ne se produit annuellement qu'une fois.

Qu'est-ce que c'est que la zone tempérée? C'est la partie qui comprend les régions situées entre les Tropiques et les Cercles polaires, entre 23°28' et 66°72' de latitude, et pour lesquelles le Soleil ne s'élève jamais jusqu'au zénith, mais paraît tous les jours au-dessus de l'horizon.

Qu'est-ce que c'est que la zone glaciale? C'est cette partie des régions circumpolaires que le Soleil abandonne complètement pendant un laps de temps, qui, pour le Pôle même, peut aller jusqu'à six mois.

On le comprend, une conséquence des diverses hauteurs que peut atteindre le Soleil au-dessus de l'horizon, c'est qu'il en résulte une chaleur excessive pour la zone torride ­ une chaleur modérée mais variable à mesure qu'on s'éloigne des Tropiques pour la zone tempérée, ­ un froid excessif pour la zone glaciale depuis les Cercles polaires jusqu'aux Pôles.

Eh bien, les choses ne se passeraient plus ainsi à la surface de la Terre, par suite de la perpendicularité du nouvel axe. Le Soleil se maintiendrait immuablement dans le plan de l'Équateur. Durant toute l'année, il tracerait pendant douze heures sa course imperturbable, en montant jusqu'à une distance du zénith égale à la latitude du lieu, par conséquent d'autant plus haut que le point est plus voisin de l'Équateur. Ainsi, pour les pays situés par vingt degrés de latitude, il s'élèverait chaque jour jusqu'à soixante-dix degrés au-dessus de l'horizon, ­ pour les pays situés par quarante-neuf degrés, jusqu'à quarante et un, ­ pour les points situés sur le soixante-septième parallèle, jusqu'à vingt-trois degrés. Donc les jours conserveraient une régularité parfaite, mesurés par le Soleil, qui se lèverait et se coucherait toutes les douze heures au même point de l'horizon.

« Et voyez les avantages! répétaient les amis du président Barbicane. Chacun, suivant son tempérament, pourra choisir le climat invariable qui conviendra à ses rhumes ou à ses rhumatismes, sur un globe où l'on ne connaîtra plus les variations de chaleur actuellement si regrettables! »

En résumé, Barbicane and Co, Titans modernes, allaient modifier l'état de choses qui existait depuis l'époque où le sphéroïde terrestre, penché sur son orbite, s'était concentré pour devenir la Terre telle qu'elle est.

À la vérité, l'observateur y perdrait quelques-unes des constellations ou étoiles qu'il est habitué à voir sur le champ du ciel. Le poste n'aurait plus les longues nuits d'hiver ni les longs jours d'été à encadrer dans ses rimes modernes « avec la consonne d'appui. » Mais, en somme, quel profit pour la généralité des humains!

« De plus, répétaient les journaux dévoués au président Barbicane, puisque les productions du sol terrestre seront régularisées, l'agronome pourra distribuer à chaque espèce végétale la température qui lui paraîtra favorable.