Jules Verne

Il était si préoccupé qu'il n'avait point observé l'état du ciel ­ lequel s'était sensiblement modifié dans l'après-midi. Depuis une heure, montait un de ces gros orages, dont l'influence affecte l'organisme de tous les êtres vivants. Des nuages livides, sortes de flocons blanchâtres, accumulés sur un fond gris mat, passaient pesamment au-dessus de la ville. Des roulements lointains se répercutaient entre les cavités sonores de la Terre et de l'espace. Un ou deux éclairs avaient déjà zébré l'atmosphère, où la tension électrique était portée au plus haut point.

J.-T. Maston, de plus en plus absorbé, ne voyait rien, n'entendait rien.

Soudain, un timbre électrique troubla par ses tintements précipités le silence du cabinet.

« Bon! s'écria J.-T. Maston. Quand ce n'est pas par la porte que viennent les importuns, c'est par le fil téléphonique!… Une belle invention pour les gens qui veulent rester en repos!… Je vais prendre la précaution d'interrompre le courant pendant toute la durée de mon travail! »

Et, s'avançant vers la plaque :

« Que me veut-on? demanda-t-il.

- Entrer en communication pour quelques instants! répondit une voix féminine.

- Et qui me parle?…

- Ne m'avez-vous pas reconnue, cher monsieur Maston? C'est moi… mistress Scorbitt!

- Mistress Scorbitt!… Elle ne me laissera donc pas une minute de tranquillité! »

Mais ces derniers mots ­ peu agréables pour l'aimable veuve ­ furent prudemment murmurés à distance, de manière à ne pas impressionner la plaque de l'appareil.

Puis J.-T. Maston, comprenant qu'il ne pouvait se dispenser de répondre, au moins par une phrase polie, reprit :

« Ah! c'est vous, mistress Scorbitt?

- Moi, cher monsieur Maston!

- Et que me veut mistress Scorbitt?…

- Vous prévenir qu'un violent orage ne tardera pas à éclater au-dessus de la ville!

- Eh bien, je ne puis l'empêcher…

- Non, mais je viens vous demander si vous avez eu soin de fermer vos fenêtres… »

Mrs Evangélina Scorbitt avait à peine achevé cette phrase, qu'un formidable coup de tonnerre emplissait l'espace. On eût dit qu'une immense pièce de soie se déchirait sur une longueur infinie. La foudre était tombée dans le voisinage de Balistic-Cottage, et le fluide, conduit par le fil du téléphone, venait d'envahir le cabinet du calculateur avec une brutalité toute électrique.

J.-T. Maston, penché sur la plaque de l'appareil, reçut la plus belle gifle voltaïque qui ait jamais été appliquée sur la joue d'un savant. Puis, l'étincelle filant par son crochet de fer, il fut renversé comme un simple capucin de carte. En même temps, le tableau noir, heurté par lui, vola dans un coin de la chambre. Après quoi, la foudre, sortant par l'invisible trou d'une vitre, gagna un tuyau de conduite et alla se perdre dans le sol.

Abasourdi ­ on le serait à moins ­ J.-T. Maston se releva, se frotta les différentes parties du corps, s'assura qu'il n'était point blessé. Cela fait, n'ayant rien perdu de son sang-froid, comme il convenait à un ancien pointeur de Columbiad, il remit tout en ordre dans son cabinet, redressa son chevalet, replaça son tableau, ramassa les bouts de craie éparpillés sur le tapis, et vint reprendre son travail si brusquement interrompu.

Mais il s'aperçut alors que, par suite de la chute du tableau, l'inscription qu'il avait tracée à droite, et qui représentait en mètres la circonférence terrestre à l'Équateur, était partiellement effacée. Il commençait donc à la rétablir, lorsque le timbre résonna de nouveau avec un titillement fébrile.

« Encore! » s'écria J.-T. Maston.

Et il alla se placer devant l'appareil.

« Qui est là?… demanda-t-il.

- Mistress Scorbitt.

- Et que me veut mistress Scorbitt?

- Est-ce que cet horrible tonnerre n'est pas tombé sur Balistic-Cottage?

- J'ai tout lieu de le croire!

- Ah! grand Dieu!… La foudre…

- Rassurez-vous, mistress Scorbitt!

- Vous n'avez pas eu de mal, cher monsieur Maston?

- Pas eu…

- Vous êtes bien certain de ne pas avoir été touché?…

- Je ne suis touché que de votr