Jules Verne

e amitié pour moi, crut devoir répondre galamment J.-T. Maston.

- Bonsoir, cher Maston!

- Bonsoir, chère mistress Scorbitt. »

Et il ajouta en retournant à sa place :

« Au diable soit-elle, cette excellente femme! Si elle ne m'avait pas si maladroitement appelé au téléphone, je n'aurais pas couru le risque d'être foudroyé! »

Cette fois, c'était bien fini. J.-T. Maston ne devait plus être dérangé au cours de sa besogne. D'ailleurs, afin de mieux assurer le calme nécessaire à ses travaux, il rendit son appareil complètement aphone, en interrompant la communication électrique.

Reprenant pour base le nombre qu'il venait d'écrire, il en déduisit les diverses formules, puis, finalement, une formule définitive, qu'il posa à gauche sur le tableau, après avoir effacé tous les chiffres dont il l'avait tirée.

Et alors, il se lança dans une interminable série de signes algébriques…

-------------------------------------------------------------------------------- Huit jours plus tard, le 11 octobre, ce magnifique calcul de mécanique était résolu, et le secrétaire du Gun-Club apportait triomphalement à ses collègues la solution du problème qu'ils attendaient avec une impatience bien naturelle.

Le moyen pratique d'arriver au Pôle nord pour en exploiter les houillères était mathématiquement établi. Aussi, une Société fut-elle fondée sous le titre de _North Polar Practical Association_, à laquelle le gouvernement de Washington accordait la concession du domaine arctique pour le cas où l'adjudication l'en rendrait propriétaire. On sait comment, l'adjudication ayant été faite au profit des États-Unis d'Amérique, la nouvelle Société fit appel au concours des capitalistes des deux Mondes.

VII

Dans lequel le président Barbicane n'en dit pas plus qu'il ne lui convient d'en dire.

Le 22 décembre, les souscripteurs de Barbicane and Co furent convoqués en assemblée générale. Il va sans dire que les salons du Gun-Club avaient été choisis pour lieu de réunion dans l'hôtel d'Union-square. Et, en vérité, c'est à peine si le square lui-même eût suffi à enfermer la foule empressée des actionnaires. Mais le moyen de faire un meeting en plein air, à cette date, sur l'une des places de Baltimore, lorsque le colonne mercurielle s'abaisse de dix degrés centigrades au-dessous du zéro de la glace fondante.

Ordinairement, le vaste hall de Gun-Club ­ on ne l'a peut- être pas oublié ­ était orné d'engins de toutes sortes empruntés à la noble profession de ses membres. On eût dit un véritable musée d'artillerie. Les meubles eux-mêmes, sièges et tables, fauteuils et divans, rappelaient, par leur forme bizarre, ces engins meurtriers, qui avaient envoyé dans un monde meilleur tant de braves gens dont le secret désir eût été de mourir de vieillesse.

Eh bien! ce jour-là, il avait fallu remiser cet encombrement. Ce n'était pas une assemblée guerrière, c'était une assemblée industrielle et pacifique qu'Impey Barbicane allait présider. Large place avait donc été faite aux nombreux souscripteurs, accourus de tous les points des États-Unis. Dans le hall, comme dans les salons y attenant, ils se pressaient, s'écrasaient, s'étouffaient, sans compter l'interminable queue, dont les remous se prolongeaient jusqu'au milieu d'Union-square.

Bien entendu, les membres du Gun-Club, ­ premiers souscripteurs des actions de la nouvelle Société, ­ occupaient des places rapprochées du bureau. On distinguait parmi eux, plus triomphants que jamais, le colonel Bloomsberry, Tom Hunter aux jambes de bois et leur collègue le fringant Bilsby. Très galamment, un confortable fauteuil avait été réservé à Mrs Evangélina Scorbitt, qui aurait véritablement eu le droit, en sa qualité de plus forte propriétaire de l'immeuble arctique, de siéger à côté du président Barbicane. Nombre de femmes, d'ailleurs, appartenant à toutes les classes de la cité, fleurissaient de leurs chapeaux aux bouquets assortis, aux plumes extravagantes, aux rubans multicolores, la bruyante foule qui se pressait sous la coupole vitrée du hall.

En somme, pour l'immense majorité, les actionnaires présents à cette assemblée pouvaient être considérés, non seulement comme des partisans, mais comme des amis personnels des membres du Conseil d'administration.