Le _Go a head_ avait une forme allongée qui faciliterait son déplacement suivant l'horizontale. Sa nacelle, plate-forme à peu près semblable à celle du ballon des capitaines Krebs et Renard, emportait tout l'outillage nécessaire aux aérostiers, instruments de physique, câbles, ancres, guides-ropes, etc., de plus, les appareils, piles et accumulateurs qui constituaient sa puissance mécanique. Cette nacelle était munie, à l'avant, d'une hélice, et, à l'arrière, d'une hélice et d'un gouvernail. Mais, probablement, le rendement des machines du _Go a head_ devait être très inférieur au rendement des appareils de l'_Albatros._
Le _Go a head_ avait été transporté, après son gonflement, dans la clairière de Fairmont-Park, à la place même où s'était reposé l'aéronef pendant quelques heures.
Inutile de dire que sa puissance ascensionnelle lui était fournie par le plus léger de tous les corps gazeux. Le gaz d'éclairage ne possède qu'une force de sept cents grammes environ par mètre cube, - ce qui ne donne qu'une insuffisante rupture d'équilibre avec l'air ambiant. Mais l'hydrogène possède une force d'ascension qui peut être estimée à onze cents grammes. Cet hydrogène pur, préparé d'après les procédés et dans les appareils spéciaux du célèbre Henry Giffard, emplissait l'énorme ballon. Donc, puisque la capacité du _Go a head_ mesurait quarante mille mètres cubes, la puissance ascensionnelle de son gaz était quarante mille multipliés par onze cents, soit de quarante-quatre mille kilogrammes.
Dans cette matinée du 29 avril, tout était prêt. Dès onze heures, l'énorme aérostat se balançait à quelques pieds du sol, prêt à s'élever au milieu des airs.
Temps admirable et fait exprès pour cette importante expérience. En somme, peut-être aurait-il mieux valu que la brise eût été plus forte, ce qui aurait rendu l'épreuve plus concluante. En effet, on n'a jamais mis en doute qu'un ballon pût être dirigé dans un air calme; mais, au milieu d'une atmosphère en mouvement, c'est autre chose, et c'est dans ces conditions que les expériences doivent être tentées.
Enfin, il n'y avait pas de vent ni apparence qu'il dût se lever. Ce jour-là, par extraordinaire, l'Amérique du Nord ne se disposait point à envoyer à l'Europe occidentale une des bonnes tempêtes de son inépuisable réserve, et jamais jour n'eût été mieux choisi pour le succès d'une expérience aéronautique.
Faut-il parler de la foule immense réunie dans Fairmont-Park, des nombreux trains qui avaient versé sur la capitale de la Pennsylvanie les curieux de tous les Etats environnants, de la suspension de la vie industrielle et commerciale qui permettait à tous de venir assister à ce spectacle, patrons, employés, ouvriers, hommes, femmes, vieillards, enfants, membres du Congrès, représentants de l'armée, magistrats, reporters, indigènes blancs et noirs, entassés dans la vaste clairière? Faut-il décrire les émotions bruyantes de ce populaire, ces mouvements inexplicables, ces poussées soudaines qui rendaient la masse palpitante et houleuse? Faut-il chiffrer les hips! hips! hips! qui éclatèrent de toutes parts comme des détonations de boîtes d'artifice, lorsque Uncle Prudent et Phil Evans parurent sur la plate-forme, au-dessous de l'aérostat pavoisé aux couleurs américaines? Faut-il avouer enfin que le plus grand nombre des curieux n'était peut-être pas venu pour voir le _Go a head,_ mais pour contempler ces deux hommes extraordinaires que l'Ancien Monde enviait au Nouveau?
Pourquoi deux et non trois? Pourquoi pas Frycollin? C'est que Frycollin trouvait que la campagne de l'_Albatros_ suffisait à sa célébrité. Il avait décliné l'honneur d'accompagner son maître. Il n'eut donc point sa part des acclamations frénétiques qui accueillirent le président et le secrétaire du Weldon-Institute.
Il va sans dire que, de tous les membres de l'illustre assemblée, pas un ne manquait aux places réservées en dedans des cordes et piquets qui formaient enceinte au milieu de la clairière. Là étaient Truk Milnor, Bat T. Fyn, William T. Forbes, ayant au bras ses deux filles, Miss Doll et Miss Mat.