Jules Verne

Tous étaient venus affirmer par leur présence que rien ne pourrait jamais séparer les partisans du « Plus léger que l'air » !

Vers onze heures vingt, un coup de canon annonça la fin des derniers préparatifs.

Le _Go a head_ n'attendait plus qu'un signal pour partir. Un second coup de canon retentit à onze heures vingt-cinq.

Le _Go a head,_ maintenu par ses cordes de filet, s'éleva d'une quinzaine de mètres au-dessus de la clairière. De cette façon la plate-forme dominait cette foule si profondément émue. Uncle Prudent et Phil Evans, debout à l'avant, mirent alors la main gauche sur leur poitrine, - ce qui signifiait qu'ils étaient de cœur avec toute l'assistance. Puis, ils tendirent la main droite vers le zénith, - ce qui signifiait que le plus grand des ballons connus jusqu'à ce jour allait enfin prendre possession du domaine supra-terrestre.

Cent mille mains se portèrent alors sur cent mille poitrines, et cent mille autres se dressèrent vers le ciel.

Un troisième coup de canon éclata à onze heures trente.

« Lâchez tout! » cria Uncle Prudent, qui lança la formule sacramentelle.

Et le _Go a head_ s'éleva « majestueusement », -adverbe consacré par l'usage dans les descriptions aérostatiques.

En vérité, c'était un spectacle superbe! On eût dit d'un vaisseau qui vient de quitter son chantier de construction. Et n'était-ce pas un vaisseau, lancé sur la mer aérienne?

Le _Go a head_ monta suivant une rigoureuse verticale - preuve du calme absolu de l'atmosphère -, et il s'arrêta à une altitude de deux cent cinquante mètres.

Là, commencèrent les manœuvres en déplacement horizontal. Le _Go a head,_ poussé par ses deux hélices, alla au-devant du soleil avec une vitesse d'une dizaine de mètres à la seconde. C'est la vitesse de la baleine franche au milieu des couches liquides. Et il ne messied pas de le comparer à cette géante des mers boréales, puisqu'il avait aussi la forme de cet énorme cétacé.

Une nouvelle salve de hurrahs monta vers les habiles aéronautes.

Puis, sous l'action de son gouvernail, le _Go a head_ se livra à toutes les évolutions circulaires, obliques, rectilignes, que lui imprimait la main du timonier. Il tourna dans un cercle restreint, il marcha en avant, en arrière, de façon à convaincre les plus réfractaires à la direction des ballons, - s'il y en avait eu!... S'il yen avait eu, on les aurait écharpés.

Mais pourquoi le vent manquait-il à cette magnifique expérience? Ce fut regrettable. On aurait vu, sans doute, le _Go a head_ exécuter, sans une hésitation, tous les mouvements, soit en déviant par l'oblique comme un navire à voiles qui marche au plus près, soit en remontant les courants de l'air comme un navire à vapeur.

En ce moment, l'aérostat se releva dans l'espace de quelques centaines de mètres.

On comprit la manœuvre. Uncle Prudent et ses compagnons allaient tenter de trouver un courant quelconque dans de plus hautes zones, afin de compléter l'épreuve. Du reste, un système de ballonneaux intérieurs analogues à la vessie natatoire des poissons et dans lesquels on pouvait introduire une certaine quantité d'air, au moyen de pompes, lui permettait de se déplacer verticalement. Sans jamais jeter de lest pour monter ni perdre de gaz pour descendre, il était en mesure de s'élever ou de s'abaisser dans l'atmosphère, au gré de l'aéronaute. Toutefois, il avait été muni d'une soupape à son hémisphère supérieur, pour le cas où il eût été obligé à quelque rapide descente. C'était, en somme, l'application de systèmes déjà connus, mais poussés à un extrême degré de perfection.

Le _Go a head_ s'élevait donc en suivant une ligne verticale. Ses énormes dimensions diminuaient graduellement aux regards, comme par un effet d'optique. Ce n'est pas ce qu'il y a de moins curieux pour les spectateurs, dont les vertèbres du cou se brisent à regarder en l'air. L'énorme baleine devenait peu à peu un marsouin, en attendant qu'elle fût réduite à l'état de simple goujon.

Le mouvement ascensionnel ne cessant pas, le _Go a head_ atteignit une altitude de quatre mille mètres.