Jules Verne

Il aurait prévenu l'ingénieur ou Tom Turner. On eût cherché, on eût découvert ce coffre dans lequel était déposé l'engin explosif... Il eût été temps encore de sauver ce merveilleux _Albatros_ et tous ceux qu'il emportait avec lui!

Mais les hommes travaillaient à l'avant, c'est-à-dire à vingt mètres du roufle des fugitifs. Rien ne les appelait encore dans cette partie de la plate-forme, comme rien ne pouvait les distraire d'une besogne qui exigeait toute leur attention.

Robur, lui aussi, était là, travaillant de ses mains, en habile mécanicien qu'il était. Il pressait l'ouvrage, mais sans rien négliger pour que tout fût fait avec le plus grand soin! Ne fallait-il pas qu'il redevint absolument maître de son appareil? S'il ne parvenait pas à reprendre les fugitifs, ceux-ci finiraient par se rapatrier. On ferait des investigations. L'île X n'échapperait peut-être pas aux recherches. Et ce serait la fin de cette existence que les hommes de l'_Albatros_ s'étaient créée, - existence surhumaine, sublime!

En ce moment; Tom Turner s'approcha de l'ingénieur. Il était une heure un quart.

« Master Robur, dit-il, il me semble que la brise a quelque tendance à mollir, en gagnant dans l'ouest, il est vrai.

- Et qu'indique le baromètre? demanda Robur, après avoir observé l'aspect du ciel.

- Il est à peu près stationnaire, répondit le contremaître. Pourtant, il me semble que les nuages s'abaissent au-dessous de l'_Albatros._

- En effet, Tom Turner, et, dans ce cas, il ne serait pas impossible qu'il plût à la surface de la mer. Mais, pourvu que nous demeurions au-dessus de la zone des pluies, peu importe! Nous ne serons pas gênés dans l'achèvement de notre travail.

- Si la pluie tombe, reprit Tom Turner, ce doit être une pluie fine - du moins la forme des nuages le fait supposer - et il est probable que, plus bas, la brise va calmir tout à fait.

- Sans doute, Tom, répondit Robur. Néanmoins, il me semble préférable de ne pas redescendre encore. Achevons de réparer nos avaries et alors nous pourrons manœuvrer à notre convenance. Tout est là. »

A deux heures et quelques minutes, la première partie du travail était finie. L'hélice antérieure réinstallée, les piles qui l'actionnaient furent mises en activité. Le mouvement s accéléra peu à peu, et l'_Albatros,_ évoluant cap au sud-ouest, revint avec une vitesse moyenne dans la direction de l'île Chatam.

« Tom, dit Robur, il y a deux heures et demie environ que nous avons porté au nord-est. La brise n'a pas changé, ainsi que j'ai pu m'en assurer en observant le compas. Donc, j'estime qu'en une heure, au plus, nous pouvons retrouver les parages de l'île.

- Je le crois aussi, master Robur, répondit le contremaître, car nous avançons a raison d'une douzaine de mètres par seconde. Entre trois et quatre heures du matin, l'_Albatros_ aura regagné son point de départ.

- Et ce sera tant mieux, Tom! répondit l'ingénieur. Nous avons intérêt à arriver de nuit et même à atterrir, sans avoir été vus. Les fugitifs, nous croyant loin dans le nord, ne se tiendront pas sur leurs gardes. Lorsque l'_Albatros_ sera presque à ras de terre, nous essaierons de le cacher derrière quelques hautes roches de l'île. Puis, dussions-nous passer quelques jours à Chatam...

- Nous les passerons, master Robur, et, quand nous devrions lutter contre une armée d'indigènes...

- Nous lutterons, Tom, nous lutterons pour notre _Albatros _ ! »

L'ingénieur se retourna alors vers ses hommes qui attendaient de nouveaux ordres.

« Mes amis, leur dit-il, l'heure n'est pas venue de se reposer. Il faut travailler jusqu'au jour. »

Tous étaient prêts.

Il s'agissait maintenant de recommencer pour le propulseur de l'arrière les réparations qui avaient été faites pour celui de l'avant. C'étaient les mêmes avaries, produites par la même cause, c'est-à-dire par la violence de l'ouragan pendant la traversée du continent antarctique.

Mais, afin d'aider à rentrer cette hélice en dedans, il parut bon d'arrêter, pendant quelques minutes, la marche de l'aéronef et même de lui imprimer un mouvement rétrograde.