Bien que sa vitesse fût modérée, il devait avoir perdu de vue l'île Chatam au lever du soleil.
Pour revenir contre le vent, il aurait fallu que les propulseurs, ou tout au moins celui de l'avant, eussent été en état de fonctionner.
« Tom, dit l'ingénieur, pousse les fanaux à pleine lumière.
- Oui, master Robur.
- Et tous à l'ouvrage! -
- Tous! » répondit le contremaître.
Il ne pouvait plus être question de remettre le travail au lendemain. Il ne s'agissait plus de fatigues, maintenant! Pas un des hommes de l'_Albatros_ qui ne partageât les passions de son chef! Pas un qui ne fût prêt à tout faire pour reprendre les fugitifs! Dès que l'hélice de l'avant serait remise en place, on reviendrait sur Chatam, on s'y amarrerait de nouveau, on donnerait la chasse aux prisonniers. Alors, seulement, seraient commencées les réparations de l'hélice de l'arrière, et l'aéronef pourrait continuer en toute sécurité à travers le Pacifique son voyage de retour à l'île X.
Toutefois, il était important que l'_Albatros_ ne. fût pas emporté trop loin dans le nord-est. Or, circonstance fâcheuse, la brise s'accentuait, et il ne pouvait plus ni la remonter ni même rester stationnaire. Privé de ses propulseurs, il était devenu un ballon indirigeable. Les fugitifs, postés sur le littoral, avaient pu constater qu'il aurait disparu avant que l'explosion l'eût mis en pièces.
Cet état de choses ne pouvait qu'inquiéter beaucoup Robur relativement à ses projets ultérieurs. N'éprouverait-il pas quelques retards pour rallier l'île Chatam? Aussi, pendant que les réparations étaient activement poussées, prit-il la résolution de redescendre dans les basses couches avec l'espérance d'y rencontrer des courants plus faibles. Peut-être l'_Albatros_ parviendrait-il à se maintenir dans ces parages jusqu'au moment où il serait redevenu assez puissant pour refouler la brise?
La manœuvre fut aussitôt faite. Si quelque navire eût assisté aux évolutions de cet appareil, alors baigné dans ses lueurs électriques, de quelle épouvante son équipage aurait été pris!
Lorsque l'_Albatros_ ne fut plus qu'à quelques centaines de pieds de la surface de la mer, il s'arrêta.
Malheureusement, Robur dut le constater, la brise soufflait avec plus de force dans cette zone inférieure, et l'aéronef s'éloignait avec une vitesse plus grande. Il risquait donc d'être entraîné fort loin dans le nord-est, - ce qui retarderait son retour à l'île Chatam.
En somme, après tentatives faites, il fut prouvé qu'il y avait avantage à se maintenir dans les hautes couches où l'atmosphère était mieux équilibrée. Aussi l'_Albatros_ remonta-t-il à une moyenne de trois mille mètres. Là, s'il ne resta pas stationnaire, du moins sa dérive fut-elle plus lente. L'ingénieur put donc espérer qu'au lever du jour, et de cette altitude, il aurait encore en vue les parages de l'île, dont il avait d'ailleurs relevé la position avec une exactitude absolue.
Quant à la question de savoir si les fugitifs auraient reçu bon accueil des indigènes, au cas où l'île serait habitée, Robur ne s'en préoccupait même pas. Que ces indigènes leur vinssent en aide, peu lui importait. Avec les moyens offensifs dont disposait l'_Albatros,_ ils seraient promptement épouvantés, dispersés. La capture des prisonniers ne pouvait donc faire question, et, une fois repris...
« On ne s'enfuit pas de l'île X! » dit Robur.
Vers une heure après minuit, le propulseur de l'avant était réparé. Il ne s'agissait plus que de le remettre en place, ce qui exigeait encore une heure de travail. Cela fait, l'_Albatros_ repartirait, cap au sud-ouest, et l'on démonterait alors le propulseur de l'arrière.
Et cette mèche qui brûlait dans la cabine abandonnée! Cette mèche, dont plus d'un tiers était consumé déjà! Et cette étincelle qui s'approchait de la cartouche de dynamite!
Assurément, si les hommes de l'aéronef n'eussent pas été aussi occupés, peut-être l'un d'eux eût-il entendu le faible crépitement qui commençait à se produire dans le ronfle? Peut-être eût-il perçu une odeur de poudre brûlée? Il se fût inquiété.