Certes, à l'époque où Napoléon était au pouvoir des Anglais, s'il eût existé un appareil analogue à celui de l'ingénieur Robur, Hudson Lowe, en dépit de ses insultantes précautions, aurait bien pu voir son illustre prisonnier lui échapper par la voie des airs!
Pendant les soirées des 16 et 17 juillet, un curieux phénomène de lueurs crépusculaires se produisit à la tombée du jour. Sous une latitude plus élevée, on aurait pu croire à l'apparition d'une aurore boréale. Le soleil, à son coucher, projeta des rayons multicolores, dont quelques-uns s'imprégnaient d'une ardente couleur verte.
Etait-ce un nuage de poussières cosmiques que la terre traversait alors et qui réfléchissaient les dernières clartés du jour? Quelques observateurs ont donné cette explication aux lueurs crépusculaires. Mais cette explication n'aurait pas été maintenue, si ces savants se fussent trouvés à bord de l'aéronef.
Examen fait, il fut constaté qu'il y avait en suspension dans l'air de petits cristaux de pyroxène, des globules vitreux, de fines particules de fer magnétique, analogues aux matières que rejettent certaines montagnes ignivomes. Dès lors, nul doute qu'un volcan en éruption n'eût projeté dans l'espace ce nuage, dont les corpuscules cristallins produisaient le phénomène observé -nuage que les courants aériens tenaient alors en suspension au-dessus de l'Atlantique.
Au surplus, pendant cette partie du voyage plusieurs autres phénomènes furent encore observés. A diverses reprises, certaines nuées donnaient au ciel une teinte grise d'un singulier aspect; puis, si l'_on_ dépassait ce rideau de vapeurs, sa surface apparaissait toute mamelonnée de volutes éblouissantes d'un blanc cru, semées de petites paillettes solidifiées - ce qui, sous cette latitude, ne peut s'expliquer que par une formation identique à celle de la grêle.
Dans la nuit du 17 au 18, apparition d'un arc-en-ciel lunaire d'un jaune verdâtre, par suite de la position de l'aéronef entre la pleine lune et un réseau de pluie fine qui se volatilisait avant d'avoir atteint la mer.
De ces divers phénomènes, pouvait-on conclure à un prochain changement de temps? Peut-être. Quoi qu'il en soit, le vent, qui soufflait du sud-ouest depuis le départ de la côte d'Afrique, avait commencé à calmir dans les régions de l'Equateur. En cette zone tropicale, il faisait extrêmement chaud. Robur alla donc chercher la fraîcheur dans des couches plus élevées. Encore fallait-il s'abriter contre les rayons du soleil dont la projection directe n'eût pas été supportable.
Cette modification dans les courants aériens faisait certainement pressentir que d'autres conditions climatériques se présenteraient au-delà des régions équinoxiales. Il faut, d'ailleurs, observer que le mois de juillet de l'hémisphère austral, c'est le mois de janvier de l'hémisphère boréal, c'est-à-dire le cœur de l'hiver. L'_Albatros,_ s'il descendait plus au sud, allait bientôt en éprouver les effets.
Du reste, la mer « sentait cela », comme disent les marins. Le 18 juillet, au-delà du tropique du Capricorne, un autre phénomène se manifesta, dont un navire eût pu prendre quelque effroi.
Une étrange succession de lames lumineuses se propageait à la surface de l'Océan avec une rapidité telle qu'on ne pouvait l'estimer à moins de soixante milles à l'heure. Ces lames chevauchaient à une distance de quatre-vingts pieds l'une de l'autre, en traçant de longs sillons de lumière. Avec la nuit qui commençait à venir, un intense reflet montait jusqu'à l'_Albatros._ Cette fois, il aurait pu être pris pour quelque bolide enflammé. Jamais Robur n'avait eu l'occasion de planer sur une mer de feu, - feu sans chaleur qu'il n'eut pas besoin de fuir en s élevant dans les hauteurs du ciel.
L'électricité devait être la cause de ce phénomène, car on ne pouvait l'attribuer à la présence d'un banc de frai de poissons ou d'une nappe de ces animalcules dont l'accumulation produit la phosphorescence.
Cela donnait à supposer que la tension électrique de l'atmosphère devait être alors très considérable.