Jules Verne

Toutefois, l'espace était assez éclairé maintenant pour que le regard pût s'étendre au-dehors - du moins dans la limite du champ de vision coupé par l'encadrement de la meurtrière.

« Que voyez-vous? demanda Uncle Prudent.

- Rien.

- Comment? Pas un massif d'arbres?

- Non.

- Pas même le haut des branches?

- Pas même.

- Nous ne sommes donc plus au centre de la clairière?

- Ni dans la clairière ni dans le parc.

- Apercevez-vous au moins des toits de maisons, des faîtes de monuments? dit Uncle Prudent, dont le désappointement, mêlé de fureur, ne cessait de s'accroître.

- Ni toits ni faîtes.

- Quoi! pas même un mât de pavillon, pas même un clocher d'église, pas même une cheminée d'usine?

- Rien que l'espace.

Juste à ce moment, la porte de la cellule s'ouvrit. Un homme apparut sur le seuil.

C'était Robur.

« Honorables ballonistes, dit-il d'une voix grave, vous êtes maintenant libres d'aller et de venir...

- Libres! s'écria Uncle Prudent.

- Oui... dans les limites de l'Albatros! »

Uncle Prudent et Phil Evans se précipitèrent hors de la cellule.

Et que virent-ils?

A douze ou treize cents mètres au-dessous d'eux, la surface d'un pays qu'ils cherchaient en vain à reconnaître.

VI

Les ingénieurs, les mécaniciens et autres savants feraient peut-être bien de passer.

« A quelle époque l'homme cessera-t-il de ramper dans les bas-fonds pour vivre dans l'azur et la paix du ciel? »

A cette demande de Camille Flammarion, la réponse est facile : ce sera à l'époque où les progrès de la mécanique auront permis de résoudre le problème de l'aviation. Et, depuis quelques années - on le prévoyait - une utilisation plus pratique de l'électricité devait conduire à la solution du problème.

En 1783, bien avant que les frères Montgolfier eussent construit la première montgolfière, et le physicien Charles son premier ballon, quelques esprits aventureux avalent rêvé la conquête de l'espace au moyen d'appareils mécaniques. Les premiers inventeurs n'avaient donc pas songé aux appareils plus légers que l'air - ce que la physique de leur temps n'eût point permis d'imaginer. C'était aux appareils plus lourds que lui, aux machines volantes, faites à l'imitation de l'oiseau, qu'ils demandaient de réaliser la locomotion aérienne.

C'est précisément ce qu'avait fait ce fou d'Icare, fils de Dédale, dont les ailes, attachées avec de la cire, tombèrent aux approches du soleil.

Mais, sans remonter jusqu'aux temps mythologiques, parler d'Archytas de Tarente, on trouve déjà dans les travaux de Dante de Pérouse, de Léonard de Vinci, de Guidotti, l'idée de machines destinées à se mouvoir au milieu de l'atmosphère. Deux siècles et demi après, les inventeurs commencent à se multiplier. En 1742, le marquis de Bacqueville fabrique un système d'ailes, l'essaie au-dessus de la Seine et se casse le bras en tombant. En 1768, Paucton conçoit la disposition d'un appareil à deux hélices suspensive et propulsive. En 1781, Meerwein, architecte du prince de Bade, construit une machine à mouvement orthoptérique, et proteste contre la direction des aérostats qui venaient d'être inventés. En 1784, Launoy et Bienvenu font manœuvrer un hélicoptère, mu par des ressorts. En 1808, essais de vol par l'Autrichien Jacques Degen. En 1810, brochure de Deniau, de Nantes, où les principes du « Plus lourd que l'air » sont posés. Puis, de 1811 à 1840, études et inventions de Berblinger, de Vignal, de Sarti, de Dubochet, de Cagniard de Latour. En 1842, on trouve l'Anglais Henson avec son système de plans inclinés et d'hélices actionnées par la vapeur; en 1845, Cossus et son appareil à hélices ascensionnelles; en 1847, Camille Vert et son hélicoptère à ailes de plumes; en 1852, Letur avec son système de parachute dirigeable, dont l'expérience lui coûta la vie; en la même année, Michel Loup avec son plan de glissement muni de quatre ailes tournantes; en 1853, Béléguic et son aéroplane mu par des hélices de traction, Vaussin-Chardannes avec son cerf-volant libre dirigeable, Georges Cauley avec ses plans de machines volantes, pourvues d'un moteur à gaz.