Jules Verne

Autrefois, il lui est arrivé de me dire de grandes choses. Il m'a appris Dieu, et ne m'a trompée que sur un point : c'est quand il m'a fait croire que tous les hommes étaient perfides, lorsqu'il a voulu m'inspirer sa haine contre l'humanité tout entière. Lorsque Harry m'a rapportée dans ce cottage, vous avez pensé que j'étais ignorante seulement ! J'étais plus que cela. J'étais épouvantée ! Ah ! pardonnez-moi ! mais, pendant quelques jours, je me suis crue au pouvoir des méchants, et je voulais vous fuir ! Ce qui a commencé à ramener mon esprit au vrai, c'est vous, Madge, non par vos paroles, mais par le spectacle de votre vie, alors que je vous voyais aimée et respectée de votre mari et de votre fils ! Puis, quand j'ai vu ces travailleurs, heureux et bons, vénérer M. Starr, dont je les ai crus d'abord les esclaves, lorsque pour la première fois j'ai vu toute la population d'Aberfoyle venir à la chapelle, s'y agenouiller, prier Dieu et le remercier de ses bontés infinies, alors je me suis dit : « Mon grand-père m'a trompée ! » Mais aujourd'hui, éclairée par ce que vous m'avez appris, je pense qu'il s'est trompé lui-même ! Je vais donc reprendre les chemins secrets par lesquels je l'accompagnais autrefois. Il doit me guetter ! Je l'appellerai... il m'entendra, et qui sait si, en retournant vers lui, je ne le ramènerai pas à la vérité ? »

Tous avaient laissé parler la jeune fille. Chacun sentait qu'il devait lui être bon d'ouvrir son coeur tout entier à ses amis, au moment où, dans sa généreuse illusion, elle croyait qu'elle allait les quitter pour toujours. Mais quand, épuisée, les yeux pleins de larmes, elle se tut, Harry, se tournant vers Madge, dit :

« Ma mère, que penseriez-vous de l'homme qui abandonnerait la noble fille que vous venez d'entendre ?

-- Je penserais, répondit Madge, que cet homme est un lâche, et, s'il était mon fils, je le renierais, je le maudirais !

-- Nell, tu as entendu notre mère, reprit Harry. Où que tu ailles, je te suivrai. Si tu persistes à partir, nous partirons ensemble...

-- Harry ! Harry ! » s'écria Nell.

Mais l'émotion était trop forte. On vit blêmir les lèvres de la jeune fille, et elle tomba dans les bras de Madge, qui pria l'ingénieur, Simon et Harry de la laisser seule avec elle.

XXI

Le mariage de Nell

On se sépara, mais il fut d'abord convenu que les hôtes du cottage seraient plus que jamais sur leurs gardes. La menace du vieux Silfax était trop directe pour qu'il n'en fût pas tenu compte. C'était à se demander si l'ancien pénitent ne disposait pas de quelque moyen terrible qui pouvait anéantir toute l'Aberfoyle.

Des gardiens armés furent donc postés aux diverses issues de la houillère, avec ordre de veiller jour et nuit. Tout étranger à la mine dut être amené devant James Starr, afin qu'il pût constater son identité. On ne craignit pas de mettre les habitants de Coal-city au courant des menaces dont la colonie souterraine était l'objet. Silfax n'ayant aucune intelligence dans la place, il n'y avait nulle trahison à craindre. On fit connaître à Nell toutes les mesures de sûreté qui venaient d'être prises, et, sans qu'elle fût rassurée complètement, elle retrouva quelque tranquillité. Mais la résolution d'Harry de la suivre partout où elle irait, avait plus que tout contribué à lui arracher la promesse de ne pas s'enfuir.

Pendant la semaine qui précéda le mariage de Nell et d'Harry, aucun incident ne troubla la Nouvelle-Aberfoyle. Aussi les mineurs, sans se départir de la surveillance organisée, revinrent-ils de cette panique, qui avait failli compromettre l'exploitation.

Cependant James Starr continuait à faire rechercher le vieux Silfax. Le vindicatif vieillard ayant déclaré que Nell n'épouserait jamais Harry, on devait admettre qu'il ne reculerait devant rien pour empêcher ce mariage. Le mieux aurait été de s'emparer de sa personne, tout en respectant sa vie. L'exploration de la Nouvelle-Aberfoyle fut donc minutieusement recommencée. On fouilla les galeries jusque dans les étages supérieurs qui affleuraient les ruines de Dundonald-Castle, à Irvine.