On supposait avec raison que c'était par le vieux château que Silfax communiquait avec l'extérieur et qu'il s'approvisionnait des choses nécessaires à sa misérable existence, soit en achetant, soit en maraudant. Quant aux « Dames de feu », James Starr eut la pensée que quelque jet de grisou, qui se produisait dans cette partie de la houillère, avait pu être allumé par Silfax et produire ce phénomène. Il ne se trompait pas. Mais les recherches furent vaines.
James Starr, pendant cette lutte de tous les instants contre un être insaisissable, fut, sans en rien faire voir, le plus malheureux des hommes. A mesure que s'approchait le jour du mariage, ses craintes s'accroissaient, et il avait cru devoir, par exception, en faire part au vieil overman, qui devint bientôt plus inquiet que lui.
Enfin le jour arriva.
Silfax n'avait pas donné signe de vie.
Dès le matin, toute la population de Coal-city fut sur pied. Les travaux de la Nouvelle-Aberfoyle avaient été suspendus. Chefs et ouvriers tenaient à rendre hommage au vieil overman et à son fils. Ce n'était que payer une dette de reconnaissance aux deux hommes hardis et persévérants, qui avaient rendu à la houillère la prospérité d'autrefois.
C'était à onze heures, dans la chapelle de Saint-Gilles, élevée sur la rive du lac Malcolm, que la cérémonie allait s'accomplir.
A l'heure dite, on vit sortir du cottage Harry donnant le bras à sa mère, Simon Ford donnant le bras à Nell.
Suivaient l'ingénieur James Starr, impassible en apparence, mais au fond s'attendant à tout, et Jack Ryan, superbe dans ses habits de piper.
Puis, venaient les autres ingénieurs de la mine, les notables de Coal-city, les amis, les compagnons du vieil overman, tous les membres de cette grande famille de mineurs, qui formait la population spéciale de la Nouvelle-Aberfoyle.
Au-dehors, il faisait une de ces journées torrides du mois d'août, qui sont particulièrement pénibles dans les pays du Nord. L'air orageux pénétrait jusque dans les profondeurs de la houillère, où la température s'était élevée d'une façon anormale. L'atmosphère s'y saturait d'électricité, à travers les puits d'aération et le vaste tunnel de Malcolm.
On aurait pu constater -- phénomène assez rare -- que le baromètre, à Coal-city, avait baissé d'une quantité considérable. C'était à se demander, vraiment, si quelque orage n'allait pas éclater sous la voûte de schiste, qui formait le ciel de l'immense crypte.
Mais la vérité est que personne, au-dedans, ne se préoccupait des menaces atmosphériques du dehors.
Chacun, cela va sans dire, avait revêtu ses plus beaux habits pour la circonstance.
Madge portait un costume qui rappelait ceux du vieux temps. Elle était coiffée d'un « toy », comme les anciennes matrones, et sur ses épaules flottait le « rokelay », sorte de mantille quadrillée que les Écossaises portent avec une certaine élégance.
Nell s'était promis de ne rien laisser voir des agitations de sa pensée. Elle défendit à son coeur de battre, à ses secrètes angoisses de se trahir, et la courageuse enfant parvint à montrer à tous un visage calme et recueilli.
Elle était simplement mise, et la simplicité de son vêtement, qu'elle avait préféré à des ajustements plus riches, ajoutait encore au charme de sa personne. Sa seule coiffure était un « snood », ruban de couleurs variées, dont se parent ordinairement les jeunes Calédoniennes.
Simon Ford avait un habit que n'aurait pas désavoué le digne bailli Nichol Jarvie, de Walter Scott.
Tout ce monde se dirigea vers la chapelle de Saint-Gilles, qui avait été luxueusement décorée.
Au ciel de Coal-city, les disques électriques, ravivés par des courants plus intenses, resplendissaient comme autant de soleils. Une atmosphère lumineuse emplissait toute la Nouvelle Aberfoyle.
Dans la chapelle, les lampes électriques projetaient aussi de vives lueurs, et les vitraux coloriés brillaient comme des kaléidoscopes de feux.
C'était le révérend William Hobson qui devait officier. A la porte même de Saint-Gilles, il attendait l'arrivée des époux.