Jules Verne

Où se cache-t-il ? Un seul être, si pervers qu'il soit, pourrait-il mener à bien une idée aussi infernale que celle de provoquer l'effondrement d'un lac ? vraiment, je finirai par croire, avec Jack Ryan, que c'est quelque génie de la houillère, qui nous en veut d'avoir envahi son domaine ! »

Il va sans dire que Nell, autant que possible, était tenue en dehors de ces conciliabules. Elle aidait, d'ailleurs, au désir qu'on avait de ne lui en rien laisser soupçonner. Son attitude témoignait, toutefois, qu'elle partageait les préoccupations de sa famille adoptive. Sa figure attristée portait la marque des combats intérieurs qui l'agitaient.

Quoi qu'il en soit, il fut résolu que James Starr, Simon et Harry Ford retourneraient sur le lieu même de l'éboulement, et qu'ils essaieraient de se rendre compte de ses causes. Ils ne parlèrent à personne de leur projet. A qui n'eût pas connu l'ensemble des faits qui lui servaient de base, l'opinion de James Starr et de ses amis devait sembler absolument inadmissible.

Quelques jours après, tous trois, montant un léger canot que manoeuvrait Harry, vinrent examiner les piliers naturels qui soutenaient la partie du massif, dans laquelle se creusait le lit du lac Katrine.

Cet examen leur donna raison. Les piliers avaient été attaqués à coups de mine. Les traces noircies étaient encore visibles, car les eaux avaient baissé par suite d'infiltrations, et l'on pouvait arriver jusqu'à la base de la substruction.

Cette chute d'une portion des voûtes du dôme avait été préméditée, puis exécutée de main d'homme.

« Aucun doute n'est possible, dit James Starr. Et qui sait ce qui serait arrivé, si, au lieu de ce petit lac, l'effondrement eût ouvert passage aux eaux d'une mer !

-- Oui ! s'écria le vieil overman avec un sentiment de fierté, il n'aurait pas fallu moins d'une mer pour noyer notre Aberfoyle ! Mais, encore une fois, quel intérêt peut avoir un être quelconque à la ruine de notre exploitation ?.

-- C'est incompréhensible, répondit James Starr. Il ne s'agit pas là d'une bande de malfaiteurs vulgaires qui, de l'antre où ils s'abritent, se répandraient sur le pays pour voler et piller ! De tels méfaits, depuis trois ans, auraient révélé leur existence ! Il ne s'agit pas, non plus, comme j'y ai pensé quelquefois, de contrebandiers ou de faux monnayeurs, cachant dans quelque recoin encore ignoré de ces immenses cavernes leur coupable industrie, et intéressés par suite à nous en chasser. On ne fait ni de la fausse monnaie ni de la contrebande pour la garder ! Il est clair cependant qu'un ennemi implacable a juré la perte de la Nouvelle Aberfoyle, et qu'un intérêt le pousse à chercher tous les moyens possibles d'assouvir la haine qu'il trous a vouée ! Trop faible, sans doute, pour agir ouvertement, c'est dans l'ombre qu'il prépare ses embûches, mais l'intelligence qu'il y déploie fait de lui un être redoutable. Mes amis, il possède mieux que nous tous les secrets de notre domaine, puisque depuis si longtemps il échappe à toutes nos recherches ! C'est un homme du métier, un habile parmi les habiles, à coup sûr, Simon. Ce que nous avons surpris de sa façon d'opérer en est la preuve manifeste. Voyons ! avez-vous jamais eu quelque ennemi personnel, sur lequel vos soupçons puissent se porter ? Cherchez bien. Il y a des monomanies de haine que le temps n'éteint pas. Remontez au plus haut dans votre vie, s'il le faut. Tout ce qui se passe est l'oeuvre d'une sorte de folie froide et patiente, qui exige que vous évoquiez sur ce point jusqu'à vos plus lointains souvenirs ! »

Simon Ford ne répondit pas. On voyait que l'honnête overman, avant de s'expliquer, interrogeait avec candeur tout son passé. Enfin, relevant la tête :

« Non, dit-il, devant Dieu, ni Madge, ni moi, nous n'avons jamais fait de mal à personne. Nous ne croyons pas que nous puissions avoir un ennemi, un seul !

-- Ah ! s'écria l'ingénieur, si Nell voulait enfin parler !

-- Monsieur Starr, et vous, mon père, répondit Harry, je vous en supplie, gardons encore pour nous seuls le secret de notre enquête ! N'interrogez pas ma pauvre Nell ! Je la sens déjà anxieuse et tourmentée.