Jules Verne

Il est certain pour moi que son coeur contient à grand-peine un secret qui l'étouffe. Si elle se tait, c'est ou qu'elle n'a rien à dire, ou qu'elle ne croit pas devoir parler ! Nous ne pouvons pas douter de son affection pour nous, pour nous tous ! Plus tard, si elle m'apprend ce qu'elle nous a tu jusqu'ici, vous en serez instruits aussitôt.

-- Soit, Harry, répondit l'ingénieur, et cependant ce silence, si Nell sait quelque chose, est vraiment bien inexplicable ! »

Et comme Harry allait se récrier :

« Sois tranquille, ajouta l'ingénieur. Nous ne dirons rien à celle qui doit être ta femme.

-- Et qui le serait sans plus attendre, si vous le vouliez, mon père !

-- Mon garçon, dit Simon Ford, dans un mois, jour pour jour, ton mariage se fera. -- vous tiendrez lieu de père à Nell, monsieur James ?

-- Comptez sur moi, Simon », répondit l'ingénieur.

James Starr et ses deux compagnons revinrent au cottage. Ils ne dirent rien du résultat de leur exploration, et, pour tout le monde de la houillère, l'effondrement des voûtes resta à l'état de simple accident. Il n'y avait qu'un lac de moins en Écosse.

Nell avait peu à peu repris ses occupations habituelles. De cette visite à la surface du comté, elle avait gardé d'impérissables souvenirs qu'Harry utilisait pour son instruction. Mais cette initiation à la vie du dehors ne lui avait laissé aucun regret. Elle aimait, comme avant cette exploration, le sombre domaine où, femme, elle continuerait de demeurer, après y avoir vécu enfant et jeune fille.

Cependant, le mariage prochain de Harry Ford et de Nell avait fait grand bruit dans la Nouvelle-Aberfoyle. Les compliments affluèrent au cottage. Jack Ryan ne fut pas le dernier à y apporter les siens. On le surprenait aussi à étudier au loin ses meilleures chansons pour une fête à laquelle toute la population de Coal-city devait prendre part.

Mais il arriva que, pendant le mois qui précéda le mariage, la Nouvelle-Aberfoyle fut plus éprouvée qu'elle ne l'avait jamais été. On eût dit que l'approche de l'union de Nell et d'Harry provoquait catastrophes sur catastrophes. Les accidents se produisaient principalement dans les travaux du fond, sans que la véritable cause pût en être connue.

Ainsi, un incendie dévora le boisage d'une galerie inférieure, et on retrouva la lampe que l'incendiaire avait employée. Harry et ses compagnons durent risquer leur vie pour arrêter ce feu, qui menaçait de détruire le gisement, et ils n'y parvinrent qu'en employant les extincteurs, remplis d'une eau chargée d'acide carbonique, dont la houillère était prudemment pourvue.

Une autre fois, ce fut un éboulement dû à la rupture des étançons d'un puits, et James Starr constata que ces étançons avaient été préalablement attaqués à la scie. Harry, qui surveillait les travaux sur ce point, fut enseveli sous les décombres et n'échappa que par miracle à la mort.

Quelques jours après, sur le tramway à traction mécanique, le train de wagonnets sur lequel Harry était monté, tamponna un obstacle et fut culbuté. On reconnut ensuite qu'une poutre avait été placée en travers de la voie.

Bref, ces faits se multiplièrent tellement, qu'une sorte de panique se déclara parmi les mineurs. Il ne fallait rien de moins que la présence de leurs chefs pour les retenir sur les travaux.

« Mais ils sont donc toute une bande, ces malfaiteurs ! répétait Simon Ford, et nous ne pouvons mettre la main sur un seul ! »

On recommença les recherches. La police du comté se tint sur pied nuit et jour, mais elle ne put rien découvrir. James Starr défendit à Harry, que cette malveillance semblait viser plus directement, de s'aventurer jamais seul hors du centre des travaux.

On en agit de même à l'égard de Nell, à laquelle, sur les instances de Harry, on cachait, néanmoins, toutes ces tentatives criminelles, qui pouvaient lui rappeler le souvenir du passé. Simon Ford et Madge la gardaient jour et nuit avec une sorte de sévérité, ou plutôt de sollicitude farouche. La pauvre enfant s'en rendait compte, mais pas une remarque, pas une plainte ne lui échappa.