Jules Verne

»

« Attends donc, Nell. Le soleil ne va pas tarder à paraître, et, pour la première fois, tu pourras le contempler dans toute sa splendeur. »

Les regards de la jeune fille étaient alors tournés vers l'est. Harry, placé près d'elle, l'observait avec une anxieuse attention. N'allait-elle pas être trop vivement impressionnée par les premiers rayons du jour ? Tous demeurèrent silencieux. Jack Ryan lui-même se tut.

Déjà une petite ligne pâle, nuancée de rose, se dessinait au-dessus de l'horizon sur un fond de brumes légères. Un reste de vapeurs, égarées au Zénith, fut attaqué par le premier trait de lumière. Au pied d'Arthur-Seat, dans le calme absolu de la nuit, Édimbourg, assoupie encore, apparaissait confusément. Quelques points lumineux piquaient çà et là l'obscurité. C'étaient les étoiles matinales qu'allumaient les gens de la vieille ville. En arrière, dans l'ouest, l'horizon, coupé de silhouettes capricieuses, bornait une région accidentée de pics, auxquels chaque rayon solaire allait mettre une aigrette de feu.

Cependant, le périmètre de la mer se traçait plus vivement vers l'est. La gamme des couleurs se disposait peu à peu suivant l'ordre que donne le spectre solaire. Le rouge des premières brumes allait par dégradation jusqu'au violet du zénith. De seconde en seconde, la palette prenait plus de vigueur : le rose devenait rouge, le rouge devenait feu. Le jour se faisait au point d'intersection que l'arc diurne allait fixer sur la circonférence de la mer.

En ce moment, les regards de Nell couraient du pied de la colline jusqu'à la ville, dont les quartiers commençaient à se détacher par groupes. De hauts monuments, quelques clochers aigus émergeaient çà et là, et leurs linéaments se profilaient alors avec plus de netteté. Il se répandait comme une sorte de lumière cendrée dans l'espace. Enfin, un premier rayon atteignit l'oeil de la jeune fille. C'était ce rayon vert, qui, soir ou matin, se dégage de la mer, lorsque l'horizon est pur.

Une demi-minute plus tard, Nell se redressait et tendait la main vers un point qui dominait les quartiers de la nouvelle ville.

« Un feu ! dit-elle.

-- Non, Nell, répondit Harry, ce n'est pas un feu. C'est une touche d'or que le soleil pose au sommet du monument de Walter Scott ! »

Et, en effet, l'extrême pointe du clocheton, haut de deux cents pieds, brillait comme un phare de premier ordre.

Le jour était fait. Le soleil déborda. Son disque semblait encore humide, comme s'il fût réellement sorti des eaux de la mer. D'abord élargi par la réfraction, il se rétrécit peu à peu, de manière à prendre la forme circulaire. Son éclat, bientôt insoutenable, était celui d'une bouche de fournaise qui eût troué le ciel.

Nell dut presque aussitôt fermer les yeux. Sur leurs paupières, trop minces, il lui fallut même appliquer ses doigts, serrés étroitement.

Harry voulait qu'elle se retournât vers l'horizon opposé.

« Non, Harry, dit-elle. Il faut que mes yeux s'habituent à voir ce que savent voir tes yeux ! »

A travers la paume de ses mains, Nell percevait encore une lueur rose, qui blanchissait à mesure que le soleil s'élevait au dessus de l'horizon. Son regard s'y faisait graduellement. Puis, ses paupières se soulevèrent, et ses yeux s'imprégnèrent enfin de la lumière du jour.

La pieuse enfant tomba à genoux, s'écriant :

« Mon Dieu, que votre monde est beau ! »

La jeune fille baissa les yeux alors et regarda. A ses pieds se déroulait le panorama d'Édimbourg : les quartiers neufs et bien alignés de la nouvelle ville, l'amas confus des maisons et le réseau bizarre des rues de l'Auld-Recky. Deux hauteurs dominaient cet ensemble, le château accroché à son rocher de basalte et Calton Hill, portant sur sa croupe arrondie les ruines modernes d'un monument grec. De magnifiques routes plantées rayonnaient de la capitale à la campagne. Au nord, un bras de mer, le golfe de Forth, entaillait profondément la côte, sur laquelle s'ouvrait le port de Leith. Au-dessus, en troisième plan, se développait l'harmonieux littoral du comté de Fife.