Jules Verne

Une voie, droite comme celle du Pirée, reliait à la mer cette Athènes du Nord. Vers l'ouest s'allongeaient les belles plages de Newhaven et de Porto-Bello, dont le sable teignait en jaune les premières lames du ressac. Au large, quelques chaloupes animaient les eaux du golfe, et deux ou trois steamers empanachaient le ciel d'un cône de fumée noire. Puis, au-delà, verdoyait l'immense campagne. De modestes collines bossuaient çà et là la plaine. Au nord, les Lomond-Hills, dans l'ouest, le Ben-Lomond et le Ben-Ledi réverbéraient les rayons solaires, comme si des glaces éternelles en eussent tapissé les cimes.

Nell ne pouvait parler. Ses lèvres ne murmuraient que des mots vagues. Ses bras frémissaient. Sa tête était prise de vertiges. Un instant, ses forces l'abandonnèrent. Dans cet air si pur, devant ce spectacle sublime, elle se sentit tout à coup faiblir, et tomba sans connaissance dans les bras d'Harry, prêts à la recevoir.

Cette jeune fille, dont la vie s'était écoulée jusqu'alors dans les entrailles du massif terrestre, avait enfin contemplé ce qui constitue presque tout l'univers, tel que l'ont fait le Créateur et l'homme. Ses regards, après avoir plané sur la ville et sur la campagne, venaient de s'étendre, pour la première fois, sur l'immensité de la mer et l'infini du ciel.

XVIII

Du lac Lomond au lac Katrine

Harry portant Nell dans ses bras, suivi de James Starr et de Jack Ryan, redescendit les pentes d'Arthur-Seat. Après quelques heures de repos et un déjeuner réconfortant qui fut pris à Lambret's-Hotel, on songea à compléter l'excursion par une promenade à travers le pays des lacs.

Nell avait recouvré ses forces. Ses yeux pouvaient désormais s'ouvrir tout grands à la lumière, et ses poumons aspirer largement cet air vivifiant et salubre. Le vert des arbres, la nuance variée des plantes, l'azur du ciel, avaient déployé devant ses regards la gamme des couleurs.

Le train qu'ils prirent à Général railway station, conduisit Nell et ses compagnons à Glasgow. Là, du dernier pont jeté sur la Clyde, ils purent admirer le curieux mouvement maritime du fleuve. Puis, ils passèrent la nuit à Comrie's Royal-hôtel.

Le lendemain, de la gare d'« Édimbourg and Glasgow railway », le train devait les conduire rapidement, par Dumbarton et Balloch, à l'extrémité méridionale du lac Lomond.

« C'est là le pays de Rob Roy et de Fergus Mac Gregor ! s'écria James Starr, le territoire si poétiquement célébré par Walter Scott ! -- Tu ne connais pas ce pays, Jack ?

-- Je le connais par ses chansons, monsieur Starr, répondit Jack Ryan, et, lorsqu'un pays a été si bien chanté, il doit être superbe !

-- Il l'est, en effet, s'écria l'ingénieur, et notre chère Nell en conservera le meilleur souvenir !

-- Avec un guide tel que vous, monsieur Starr, répondit Harry, ce sera double profit, car vous nous raconterez l'histoire du pays pendant que nous le regarderons.

-- Oui, Harry, dit l'ingénieur, autant que ma mémoire me le permettra, mais à une condition, cependant : c'est que le joyeux Jack me viendra en aide ! Lorsque je serai fatigué de raconter, il chantera !

-- Il ne faudra pas me le dire deux fois », répliqua Jack Ryan en lançant une note vibrante, comme s'il eût voulu monter son gosier au _la_ du diapason.

Par le railway de Glasgow à Balloch, entre la métropole commerciale de l'Écosse et l'extrémité méridionale du lac Lomond, on ne compte qu'une vingtaine de milles.

Le train passa par Dumbarton, bourg royal et chef-lieu de comté, dont le château, toujours fortifié, conformément au traité de l'Union, est pittoresquement campé sur les deux pics d'un gros rocher de basalte.

Dumbarton est situé au confluent de la Clyde et de la Leven. A ce propos, James Starr raconta quelques particularités de l'aventureuse histoire de Marie Stuart. En effet, ce fut de ce bourg qu'elle partit pour aller épouser François II et devenir reine de France. Là aussi, après 1815, le ministère anglais médita d'interner Napoléon; mais le choix de Sainte-Hélène prévalut, et voilà pourquoi le prisonnier de l'Angleterre alla mourir sur un roc de l'Atlantique, pour le plus grand profit de la légendaire mémoire.