James Starr, Harry et Jack Ryan allaient conduire Nell sur un sol que son pied n'avait jamais foulé, dans cet éclatant milieu, dont ses regards ne connaissaient pas encore la lumière.
L'excursion devait se prolonger pendant deux jours. James Starr, d'accord avec Harry, voulait qu'après ces quarante-huit heures passées au-dehors, la jeune fille eût vu tout ce qu'elle n'avait pu voir dans la sombre houillère, c'est-à-dire les divers aspects du globe, comme si un panorama mouvant de villes, de plaines, de montagnes, de fleuves, de lacs, de golfes, de mers, se fût déroulé devant ses yeux.
Or, dans cette portion de l'Écosse, comprise entre Édimbourg et Glasgow, il semblait que la nature eût voulu précisément réunir ces merveilles terrestres, et, quant aux cieux, ils seraient là comme partout, avec leurs nuées changeantes, leur lune sereine ou voilée, leur soleil radieux, leur fourmillement d'étoiles.
L'excursion projetée avait donc été combinée de manière à satisfaire aux conditions de ce programme.
Simon Ford et Madge eussent été très heureux d'accompagner Nell; mais, on les connaît, ils ne quittaient pas volontiers le cottage, et, finalement, ils ne purent se résoudre à abandonner, même pour un jour, leur souterraine demeure.
James Starr allait là en observateur, en philosophe, très curieux, au point de vue psychologique, d'observer les naïves impressions de Nell, -- peut-être même de surprendre quelque peu des mystérieux événements auxquels son enfance avait été mêlée.
Harry, lui, se demandait, non sans appréhension, si une autre jeune fille que celle qu'il aimait et qu'il avait connue jusqu'alors, n'allait pas se révéler pendant cette rapide initiation aux choses du monde extérieur.
Quant à Jack Ryan, il était joyeux comme un pinson qui s'envole aux premiers rayons de soleil. Il espérait bien que sa contagieuse gaieté se communiquerait à ses compagnons de voyage. Ce serait une façon de payer sa bienvenue.
Nell était pensive et comme recueillie.
James Starr avait décidé, non sans raison, que le départ se ferait le soir. Mieux valait, en effet, que la jeune fille ne passât que par une gradation insensible des ténèbres de la nuit aux clartés du jour. Or, c'est le résultat qui serait obtenu, puisque, de minuit à midi, elle subirait ces phases successives d'ombre et de lumière, auxquelles son regard pourrait s'habituer peu à peu.
Au moment de quitter le cottage, Nell prit la main d'Harry, et lui dit :
« Harry, est-il donc nécessaire que j'abandonne notre houillère, ne fût-ce que quelques jours ?
-- Oui, Nell, répondit le jeune homme, il le faut ! Il le faut pour toi et pour moi !
-- Cependant, Harry, reprit Nell, depuis que tu m'as recueillie, je suis heureuse autant qu'on peut l'être. Tu m'as instruite. Cela ne suffit-il pas ? Que vais-je faire là-haut ? »
Harry la regarda sans répondre. Les pensées qu'exprimait Nell étaient presque les siennes.
« Ma fille, dit alors James Starr, je comprends ton hésitation, mais il est bon que tu viennes avec nous. Ceux que tu aimes t'accompagnent, et ils te ramèneront. Que tu veuilles, ensuite, continuer de vivre dans la houillère, comme le vieux Simon, comme Madge, comme Harry, libre à toi ! Je ne doute pas qu'il en doive être ainsi, et je t'approuve. Mais, au moins, tu pourras comparer ce que tu laisses avec ce que tu prends, et agir en toute liberté. viens donc !
-- Viens, ma chère Nell, dit Harry.
-- Harry, je suis prête à te suivre », répondit la jeune fille.
A neuf heures, le dernier train du tunnel entraînait Nell et ses compagnons à la surface du comté. vingt minutes après, il les déposait à la gare où se reliait le petit embranchement, détaché du railway de Dumbarton à Stirling, qui desservait la Nouvelle Aberfoyle.
La nuit était déjà sombre. De l'horizon au zénith, quelques vapeurs peu compactes couraient encore dans les hauteurs du ciel, sous la poussée d'une brise de nord-ouest qui rafraîchissait l'atmosphère. La journée avait été belle. La nuit devait l'être aussi.
Arrivés à Stirling, Nell et ses compagnons, abandonnant le train, sortirent aussitôt de la gare.