Jules Verne

Oui, puisque Nell ne veut pas ou n'ose pas en parler ! » Harry devait avoir raison. Si les mystérieux hôtes de la houillère l'eussent abandonnée, ou s'ils étaient morts, quelle raison aurait eue la jeune fille de garder le silence ?

Cependant, James Starr tenait absolument à pénétrer ce secret. Il pressentait que l'avenir de la nouvelle exploitation pouvait en dépendre. On prit donc de nouveau les plus sévères précautions. Les magistrats furent prévenus. Des agents occupèrent secrètement les ruines de Dundonald-Castle. Harry lui-même se cacha, pendant plusieurs nuits, au milieu des broussailles qui hérissaient la colline. Peine inutile. On ne découvrit rien. Nul être humain n'apparut à travers l'orifice.

On en arriva bientôt à cette conclusion, que les malfaiteurs avaient dû définitivement quitter la Nouvelle-Aberfoyle, et que, quant à Nell, ils la croyaient morte au fond de ce puits où ils l'avaient abandonnée. Avant l'exploitation, la houillère pouvait leur offrir un refuge assuré, à l'abri de toute perquisition. Mais, depuis, les circonstances n'étaient plus les mêmes. Le gîte devenait difficile à cacher. On aurait donc dû raisonnablement espérer qu'il n'y avait plus rien à craindre pour l'avenir. Cependant, James Starr n'était pas absolument rassuré. Harry, non plus, ne pouvait se rendre, et il répétait souvent :

« Nell a été évidemment mêlée à tout ce mystère. Si elle n'avait plus rien à redouter, pourquoi garderait-elle le silence ? On ne peut douter qu'elle soit heureuse d'être avec nous ! Elle nous aime tous ! Elle adore ma mère ! Si elle se tait sur son passé, sur ce qui pourrait nous rassurer pour l'avenir, c'est donc que quelque terrible secret, que sa conscience lui interdit de dévoiler, pèse sur elle ! Peut-être aussi, dans notre intérêt plus que dans le sien, croit-elle devoir se renfermer dans cet inexplicable mutisme ! »

C'est par suite de ces diverses considérations que, d'un accord commun, il avait été convenu qu'on écarterait de la conversation tout ce qui pouvait rappeler son passé à la jeune fille.

Un jour, cependant, Harry fut amené à faire connaître à Nell ce que James Starr, son père, sa mère et lui-même croyaient devoir à son intervention.

C'était jour de fête. Les bras chômaient aussi bien à la surface du comté de Stirling que dans le domaine souterrain. On s'y promenait un peu partout. Des chants retentissaient, en vingt endroits, sous les voûtes sonores de la Nouvelle-Aberfoyle.

Harry et Nell avaient quitté le cottage et suivaient à pas lents la rive gauche du lac Malcolm. Là, les éclats électriques se projetaient avec moins de violence, et leurs faisceaux se brisaient capricieusement aux angles de quelques pittoresques rochers qui soutenaient le dôme. Cette pénombre convenait mieux aux yeux de Nell, qui ne se faisaient que très difficilement à la lumière.

Après une heure de marche, Harry et sa compagne s'arrêtèrent en face de la chapelle de Saint-Gilles, sur une sorte de terrasse naturelle, qui dominait les eaux du lac.

« Tes yeux, Nell, ne sont pas encore habitués au jour, dit Harry, et certainement, ils ne pourraient supporter l'éclat du soleil.

-- Non, sans doute, répondit la jeune fille, si le soleil est tel que tu me l'as dépeint, Harry.

-- Nell, reprit Harry, en te parlant, je n'ai pu te donner une juste idée de sa splendeur ni des beautés de cet univers que tes regards n'ont jamais observé. -- Mais, dis-moi, se peut-il que depuis le jour où tu es née dans les profondeurs de la houillère, se peut-il que tu ne sois jamais remontée à la surface du sol ?

-- Jamais, Harry, répondit Nell, et je ne pense pas que, même petite, ni un père ni une mère m'y aient jamais portée. J'aurais certainement gardé quelque souvenir du dehors !

-- Je le crois, répondit Harry. D'ailleurs, à cette époque, Nell, bien d'autres que toi ne quittaient jamais la mine. Les communications avec l'extérieur étaient difficiles, et j'ai connu plus d'un jeune garçon ou d'une jeune fille, qui, à ton âge, ignoraient encore tout ce que tu ignores des choses de là-haut ! Mais maintenant, en quelques minutes, le railway du grand tunnel nous transporte à la surface du comté.