Jules Verne

J'ai donc hâte, Nell, de t'entendre me dire : « viens, Harry, mes yeux peuvent supporter la lumière du jour, et je veux voir le soleil ! Je veux voir l'oeuvre de Dieu ! »

-- Je te le dirai, Harry, répondit la jeune fille, avant peu, je l'espère. J'irai admirer avec toi ce monde extérieur, et cependant...

-- Que veux-tu dire, Nell ? demanda vivement Harry. Aurais-tu quelque regret d'avoir abandonné le sombre abîme dans lequel tu as vécu pendant les premières années de ta vie, et dont nous t'avons retirée presque morte ?

-- Non, Harry, répondit Nell. Je pensais seulement que les ténèbres sont belles aussi. Si tu savais tout ce qu'y voient des yeux habitués à leur profondeur ! Il y a des ombres qui passent et qu'on aimerait à suivre dans leur vol ! Parfois ce sont des cercles qui s'entrecroisent devant le regard et dont on ne voudrait plus sortir ! Il existe, au fond de la houillère, des trous noirs, pleins de vagues lumières. Et puis, on entend des bruits qui vous parlent ! vois-tu, Harry, il faut avoir vécu là pour comprendre ce que je ressens, ce que je ne puis t'exprimer !

-- Et tu n'avais pas peur, Nell, quand tu étais seule ?

-- Harry, répondit la jeune fille, c'est quand j'étais seule que je n'avais pas peur ! » La voix de Nell s'était légèrement altérée en prononçant ces paroles. Harry, cependant, crut devoir la presser un peu, et il dit :

« Mais on pouvait se perdre dans ces longues galeries, Nell. Ne craignais-tu donc pas de t'y égarer ?

-- Non, Harry. Je connaissais, depuis longtemps, tous les détours de la nouvelle houillère !

-- N'en sortais-tu pas quelquefois ?...

-- Oui.., quelquefois.., répondit en hésitant la jeune fille, quelquefois, je venais jusque dans l'ancienne mine d'Aberfoyle.

-- Tu connaissais donc le vieux cottage ?

-- Le cottage.., oui.., mais, de bien loin seulement, ceux qui l'habitaient !

-- C'étaient mon père et ma mère, répondit Harry, c'était moi ! Nous n'avions jamais voulu abandonner notre ancienne demeure !

-- Peut-être cela aurait-il mieux valu pour vous !... murmura la jeune fille.

-- Et pourquoi, Nell ? N'est-ce pas notre obstination à ne pas la quitter, qui nous a fait découvrir le nouveau gisement ? Et cette découverte n'a-t-elle pas eu des conséquences heureuses pour toute une population qui a reconquis ici l'aisance par le travail, pour toi, Nell, qui, rendue à la vie, as trouvé des coeurs tout à toi !

-- Pour moi ! répondit vivement Nell... Oui ! quoi qu'il puisse arriver ! Pour les autres.., qui sait ?...

-- Que veux-tu dire ?

-- Rien... rien !... Mais, il y avait danger à s'introduire, alors, dans la nouvelle houillère ! Oui ! grand danger ! Harry ! Un jour, des imprudents ont pénétré dans ces abîmes. Ils ont été loin, bien loin ! Ils se sont égarés...

-- Égarés ? dit Harry en regardant Nell.

-- Oui... égarés... répondit Nell, dont la voix tremblait. Leur lampe s'est éteinte ! Ils n'ont pu retrouver leur chemin...

-- Et là, s'écria Harry, emprisonnés pendant huit longs jours, Nell, ils ont été près de mourir ! Et sans un être secourable, que Dieu leur a envoyé, un ange peut-être, qui leur a secrètement apporté un peu de nourriture, sans un guide mystérieux qui, plus tard, a conduit jusqu'à eux leurs libérateurs, ils ne seraient jamais sortis de cette tombe !

-- Et comment le sais-tu ? demanda la jeune fille.

-- Parce que ces hommes c'était James Starr.., c'était mon père... c'était moi, Nell ! »

Nell, relevant la tête, saisit la main du jeune homme, et elle le regarda avec une telle fixité, que celui-ci se sentit troublé jusqu'au plus profond de son coeur.

« Toi ! répéta la jeune fille.

-- Oui ! répondit Harry, après un instant de silence, et celle à qui nous devons de vivre, c'était toi,

Nell ! Ce ne pouvait être que toi ! » Nell laissa tomber sa tête entre ses deux mains, sans répondre. Jamais Harry ne l'avait vue aussi vivement impressionnée.

« Ceux qui t'ont sauvée, Nell, ajouta-t-il d'une voix émue, te devaient déjà la vie, et crois-tu qu'ils puissent jamais l'oublier ? »

XVI

Sur l'échelle oscillante

Cependant, les travaux d'exploitation de la Nouvelle-Aberfoyle étaient conduits avec grand profit.