Jules Verne

Une des craintes qu'il avait pu concevoir ne s'était pas réalisée, c'est-à-dire que, pendant sa descente, la corde ne fût coupée au-dessus de lui. Il n'avait, d'ailleurs, remarqué aucune anfractuosité dans les parois qui pût receler un être quelconque.

L'extrémité inférieure du puits était fort rétrécie.

Harry, détachant la lampe de sa ceinture, la promena sur le sol. Il ne s'était pas trompé dans ses conjectures.

Un étroit boyau s'enfonçait latéralement dans l'étage inférieur du gisement. Il eût fallu se courber pour y pénétrer, et se traîner sur les mains pour le suivre.

Harry voulut voir en quelle direction se ramifiait cette galerie, et si elle aboutissait à quelque abîme.

Il se coucha sur le sol et commença à ramper. Mais un obstacle l'arrêta presque aussitôt.

Il crut sentir au toucher que cet obstacle était un corps qui obstruait le passage.

Harry recula, d'abord, par un vif sentiment de répulsion, puis il revint.

Ses sens ne l'avaient pas trompé. Ce qui l'avait arrêté, c'était, en effet, un corps. Il le saisit, et se rendit compte que, glacé aux extrémités, il n'était pas encore refroidi tout à fait.

L'attirer à soi, le ramener au fond du puits, projeter sur lui la lumière de la lampe, ce fut fait en moins de temps qu'il ne faut à le dire.

« Un enfant ! » s'écria Harry.

L'enfant, retrouvé au fond de cet abîme, respirait encore, mais son souffle était si faible qu'Harry put croire qu'il allait cesser. Il fallait donc, sans perdre un instant, ramener cette pauvre petite créature à l'orifice du puits, et la conduire au cottage, où Madge lui prodiguerait ses soins.

Harry, oubliant toute autre préoccupation, rajusta la corde à sa ceinture, y attacha sa lampe, prit l'enfant qu'il soutint de son bras gauche contre sa poitrine, et, gardant son bras droit libre et armé, il fit le signal convenu, afin que la corde fût halée doucement.

La corde se tendit, et la remontée commença à s'opérer régulièrement.

Harry regardait autour de lui avec un redoublement d'attention. Il n'était plus seul exposé, maintenant.

Tout alla bien pendant les premières minutes de l'ascension, aucun incident ne semblait devoir survenir, lorsque Harry crut entendre un souffle puissant qui déplaçait les couches d'air dans les profondeurs du puits. Il regarda au-dessous de lui et aperçut, dans la pénombre, une masse, qui, s'élevant peu à peu, le frôla en passant.

C'était un énorme oiseau, dont il ne put reconnaître l'espèce, et qui montait à grands coups d'ailes.

Le monstrueux volatile s'arrêta, plana un instant, puis fondit sur Harry avec un acharnement féroce.

Harry n'avait que son bras droit dont il pût faire usage pour parer les coups du formidable bec de l'animal.

Harry se défendit donc, tout en protégeant l'enfant du mieux qu'il put. Mais ce n'était pas à l'enfant, c'était à lui que l'oiseau s'attaquait. Gêné par la rotation de la corde, il ne parvenait pas à le frapper mortellement.

La lutte se prolongeait. Harry cria de toute la force de ses poumons, espérant que ses cris seraient entendus d'en haut.

C'est ce qui arriva, car la corde fut aussitôt halée plus vite.

Il restait encore une hauteur de quatre-vingts pieds à franchir. L'oiseau se jeta plus violemment alors sur Harry. Celui-ci, d'un coup de son couteau, le blessa à l'aile; l'oiseau, poussant un cri rauque, disparut dans les profondeurs du puits.

Mais, circonstance terrible, Harry, en brandissant son couteau pour frapper l'oiseau, avait entamé la corde, dont un toron était maintenant coupé.

Les cheveux d'Harry se dressèrent sur sa tête.

La corde cédait peu à peu, à plus de cent pieds au-dessus du fond de l'abîme !...

Harry poussa un cri désespéré.

Un second toron manqua sous le double fardeau que supportait la corde à demi tranchée.

Harry lâcha son couteau, et, par un effort surhumain, au moment où la corde allait se rompre, il parvint à la saisir de la main droite au-dessus de la section. Mais, bien que son poignet fût de fer, il sentit la corde glisser peu à peu entre ses doigts.