Jack Ryan savait, pour l'avoir constaté en maintes circonstances, que son camarade était homme de parole. Avec lui, chose promise, chose faite.
Or, à la fête d'Irvine, rien n'avait manqué, ni les chants, ni les danses, ni les réjouissances de toutes sortes, rien, -- si ce n'est Harry Ford.
Jack Ryan avait commencé par lui en vouloir, parce que l'absence de son ami influait sur sa bonne humeur. Il en perdit même la mémoire au milieu d'une de ses chansons, et, pour la première fois, il resta court pendant une gigue, qui lui valait d'ordinaire des applaudissements mérités.
Il faut dire ici que la note relative à James Starr, et publiée dans les journaux, n'était pas encore tombée sous les yeux de Jack Ryan. Ce brave garçon ne se préoccupait donc que de l'absence d'Harry, se disant bien qu'une grave circonstance avait seule pu l'empêcher de tenir sa promesse. Aussi, le lendemain de la fête d'Irvine, Jack Ryan comptait-il prendre le railway de Glasgow pour se rendre à la fosse Dochart, et il l'aurait fait, -- s'il n'eût été retenu par un accident qui faillit lui coûter la vie.
Voici ce qui était arrivé pendant la nuit du 12 décembre. En vérité, le fait était de nature à donner raison à tous les partisans du surnaturel, et ils étaient nombreux à la ferme de Melrose.
Irvine, petite ville maritime du comté de Renfrew, qui compte environ sept mille habitants, est bâtie dans un brusque retour que fait la côte écossaise, presque à l'ouverture du golfe de Clyde. Son port, assez bien abrité contre les vents du large, est éclairé par un feu important qui indique les atterrissages, de telle façon qu'un marin prudent ne peut s'y tromper. Aussi, les naufrages étaient-ils rares sur cette portion du littoral, et les caboteurs ou long-courriers, qu'ils voulussent, soit embouquer le golfe de Clyde pour se rendre à Glasgow, soit donner dans la baie d'Irvine, pouvaient-ils manoeuvrer sans danger, même par les nuits obscures.
Lorsqu'une ville est pourvue d'un passé historique, si mince qu'il soit, lorsque son château a appartenu autrefois à un Robert Stuart, elle n'est pas sans posséder quelques ruines.
Or, en Écosse, toutes les ruines sont hantées par des esprits. -- Du moins, c'est l'opinion commune dans les Hautes et Basses Terres.
Les ruines les plus anciennes, et aussi les plus mal famées de cette partie du littoral, étaient précisément celles de ce château de Robert Stuart, qui porte le nom de Dundonald-Castle.
A cette époque, le château de Dundonald, refuge de tous les lutins errants de la contrée, était voué au plus complet abandon. On allait peu le visiter sur le haut rocher qu'il occupait au-dessus de la mer, à deux milles de la ville. Peut-être quelques étrangers avaient-ils encore l'idée d'interroger ces vieux restes historiques, mais alors ils s'y rendaient seuls. Les habitants d'Irvine ne les y eussent point conduits, à quelque prix que ce fût. En effet, quelques histoires couraient sur le compte de certaines « Dames de feu » qui hantaient le vieux château.
Les plus superstitieux affirmaient avoir vu, de leurs yeux vu, ces fantastiques créatures. Naturellement, Jack Ryan était de ces derniers.
La vérité est que, de temps à autre, de longues flammes apparaissaient, tantôt sur un pan de mur à demi éboulé, tantôt au sommet de la tour qui domine l'ensemble des ruines de Dundonald-Castle.
Ces flammes avaient-elles forme humaine, comme on l'assurait ? Méritaient-elles ce nom de « Dames de feu » que leur avaient donné les Écossais du littoral ? Ce n'était évidemment là qu'une illusion de cerveaux portés à la crédulité, et la science eût expliqué physiquement ce phénomène.
Quoi qu'il en soit, les Dames de feu avaient dans toute la contrée la réputation bien établie de fréquenter les ruines du vieux château et d'y exécuter parfois d'étranges sarabandes, surtout pendant les nuits obscures. Jack Ryan, quelque hardi compagnon qu'il fût, ne se serait point hasardé à les accompagner aux sons de sa cornemuse.
« Le vieux Nick leur suffit ! disait-il, et il n'a pas besoin de moi pour compléter son orchestre infernal ! »
On le pense bien, ces bizarres apparitions formaient le texte obligé des récits pendant la veillée.