Jules Verne

Si ce n'eût été qu'une sorte de poche, pleine de gaz, comme il s'en rencontre quelquefois entre les feuillets, elle se fût promptement vidée, et le phénomène eût cessé de se produire. Mais loin de là. Au dire de Simon Ford, l'hydrogène se dégageait sans cesse, et l'on en pouvait conclure à l'existence de quelque important filon. Conséquemment, les richesses de la fosse Dochart pouvaient n'être pas entièrement épuisées. Toutefois, s'agissait-il d'une couche dont le rendement serait peu considérable, ou d'un gisement occupant un large étage du terrain houiller ? c'était là, véritablement, la grosse question.

Harry, qui précédait son père et l'ingénieur, s'était arrêté.

« Nous voici arrivés ! s'écria le vieux mineur. Enfin, grâce à Dieu, monsieur James, vous êtes là, et nous allons savoir... »

La voix si ferme du vieil overman tremblait légèrement.

« Mon brave Simon, lui dit l'ingénieur, calmez-vous ! Je suis aussi ému que vous l'êtes, mais il ne faut pas perdre de temps ! »

A cet endroit, l'extrême galerie de la fosse formait en s'évasant une sorte de caverne obscure. Aucun puits n'avait été foncé dans cette portion du massif, et la galerie, profondément ouverte dans les entrailles du sol, était sans communication directe avec la surface du comté de Stirling.

James Starr, vivement intéressé, examinait d'un oeil grave l'endroit où il se trouvait.

On voyait encore sur la paroi terminale de cette caverne la marque des derniers coups de pic, et même quelques trous de cartouches, qui avaient provoqué l'éclatement de la roche, vers la fin de l'exploitation. Cette matière schisteuse était extrêmement dure, et il n'avait pas été nécessaire de remblayer les assises de ce cul-de-sac, au fond duquel les travaux avaient dû s'arrêter. Là, en effet, venait mourir le filon carbonifère, entre les schistes et les grès du terrain tertiaire. Là, à cette place même, avait été extrait le dernier morceau de combustible de la fosse Dochart.

« C'est ici, monsieur James, dit Simon Ford en soulevant son pic, c'est ici que nous attaquerons la faille, car, derrière cette paroi, à une profondeur plus ou moins considérable, se trouve assurément le nouveau filon dont j'affirme l'existence.

-- Et c'est à la surface de ces roches, demanda James Starr, que vous avez constaté la présence du grisou ?

-- Là même, monsieur James, répondit Simon Ford, et j'ai pu l'allumer rien qu'en approchant ma lampe, à l'affleurement des feuillets. Harry l'a fait comme moi.

-- A quelle hauteur ? demanda James Starr.

-- A dix pieds au-dessus du sol », répondit Harry.

James Starr s'était assis sur une roche. On eût dit que, après avoir humé l'air de la caverne, il regardait les deux mineurs, comme s'il se fût pris à douter de leurs paroles, si affirmatives cependant.

C'est que, en effet, l'hydrogène protocarboné n'est pas complètement inodore, et l'ingénieur était tout d'abord étonné que son odorat, qu'il avait très fin, ne lui eût pas révélé la présence du gaz explosif. En tout cas, si ce gaz était mêlé à l'air ambiant, ce n'était qu'à bien faible dose. Donc, pas d'explosion à craindre, et l'on pouvait sans danger ouvrir la lampe de sûreté pour tenter l'expérience, ainsi que le vieux mineur l'avait déjà fait.

Ce qui inquiétait James Starr en ce moment, ce n'était donc pas qu'il y eût trop de gaz mélangé à l'air, c'était qu'il n'y en eût pas assez, -- et même pas du tout.

« Se seraient-ils trompés ? murmura-t-il. Non ! Ce sont des hommes qui s'y connaissent ! Et pourtant !... » Il attendait donc, non sans une certaine anxiété, que le phénomène signalé par Simon Ford s'accomplît en sa présence. Mais, à ce moment, il paraît que ce qu'il venait d'observer, c'est-à-dire cette absence de l'odeur caractéristique du grisou, avait été aussi remarquée par Harry, car celui-ci, d'une voix altérée, dit :

« Père, il semble que la fuite du gaz ne se fait plus à travers les feuillets de schiste !

-- Ne se fait plus ! :.. » s'écria le vieux mineur.

Et Simon Ford, après avoir hermétiquement serré ses lèvres, aspira fortement du nez, à plusieurs reprises.