Jules Verne

On peut dire, avec quelque justesse, que Simon Ford et son fils avaient à ce sujet « la foi du charbonnier », cette foi en Dieu que rien ne peut ébranler.

C'est pourquoi depuis dix ans, sans y manquer un seul jour, obstinés, immuables dans leurs convictions, le père et le fils prenaient leur pic, leur bâton et leur lampe. Ils allaient ainsi tous les deux, cherchant, tâtant la roche d'un coup sec, écoutant si elle rendait un son favorable.

Tant que les sondages n'auraient pas été poussés jusqu'au granit du terrain primaire, Simon et Harry Ford étaient d'accord que la recherche, inutile aujourd'hui, pouvait être utile demain, et qu'elle devait être reprise. Leur vie entière, ils la passeraient à essayer de rendre à la houillère d'Aberfoyle son ancienne prospérité. Si le père devait succomber avant l'heure de la réussite, le fils reprendrait la tâche à lui seul.

En même temps, ces deux gardiens passionnés de la houillère la visitaient au point de vue de sa conservation. Ils s'assuraient de la solidité des remblais et des voûtes. Ils recherchaient si un éboulement était à craindre, et s'il devenait urgent de condamner quelque partie de la fosse. Ils examinaient les traces d'infiltration des eaux supérieures, ils les dérivaient, ils les canalisaient pour les envoyer à quelque puisard. Enfin, ils s'étaient volontairement constitués les protecteurs et conservateurs de ce domaine improductif, duquel étaient sorties tant de richesses, maintenant dissoutes en fumées !

Ce fut pendant quelques-unes de ces excursions qu'il arriva à Harry, plus particulièrement, d'être frappé de certains phénomènes, dont il cherchait en vain l'explication.

Ainsi, plusieurs fois, lorsqu'il suivait quelque étroite contre galerie, il lui sembla entendre des bruits analogues à ceux qu'auraient pu produire de violents coups de pic, frappés sur la paroi remblayée.

Harry, que le surnaturel, non plus que le naturel, ne pouvait effrayer, avait pressé le pas pour surprendre la cause de ce mystérieux travail.

Le tunnel était désert. La lampe du jeune mineur, promenée sur la paroi, n'avait laissé voir aucune trace récente de coups de pince ou de pic. Harry se demandait donc s'il n'était pas le jouet d'une illusion d'acoustique, de quelque bizarre ou fantasque écho.

D'autres fois, en projetant subitement une vive lumière vers une anfractuosité suspecte, il avait cru voir passer une ombre. Il s'était élancé... Rien, alors même qu'aucune issue n'eût permis à un être humain de se dérober à sa poursuite !

A deux reprises depuis un mois, Harry, visitant la partie ouest de la fosse, entendit distinctement des détonations lointaines, comme si quelque mineur eût fait éclater une cartouche de dynamite.

La dernière fois, après de minutieuses recherches, il avait reconnu qu'un pilier venait d'être éventré par un coup de mine.

A la clarté de sa lampe, Harry examina attentivement la paroi attaquée par la mine. Elle n'était point faite d'un simple remblayage de pierres, mais d'un pan de schiste, qui avait pénétré à cette profondeur dans l'étage du gisement houiller. Le coup de mine avait-il eu pour objet de provoquer la découverte d'un nouveau filon ? N'avait-on voulu que produire un éboulement de cette portion de la houillère ? C'est ce que se demanda Harry, et, quand il fit connaître ce fait à son père, ni le vieil overman, ni lui ne purent résoudre la question d'une façon satisfaisante.

« C'est singulier, répétait souvent Harry. La présence dans la mine d'un être inconnu semble impossible, et, cependant, elle ne peut être mise en doute ! Un autre que nous voudrait-il donc chercher s'il n'existe pas encore quelque veine exploitable ? Ou plutôt, ne tenterait-il pas d'anéantir ce qui reste des houillères d'Aberfoyle ? Mais dans quel but ? Je le saurai, quand il devrait m'en coûter la vie ! »

Quinze jours avant cette journée, pendant laquelle Harry Ford guidait l'ingénieur à travers le dédale de la fosse Dochart, il s'était vu sur le point d'atteindre le but de ses recherches.

Il parcourait l'extrémité du sud-ouest de la houillère, un puissant fanal à la main.