Jules Verne

Tout à coup, il lui sembla qu'une lumière venait de s'éteindre, à quelques centaines de pieds devant lui, au fond d'une étroite cheminée, qui coupait obliquement le massif. Il se précipita vers la lueur suspecte...

Recherche inutile. Comme Harry n'admettait pas pour les choses physiques d'explication surnaturelle, il en conclut que, certainement, un être inconnu rôdait dans la fosse. Mais, quoi qu'il fît, cherchant avec le plus extrême soin, scrutant les moindres anfractuosités de la galerie, il en fut pour sa peine, et ne put arriver à une certitude quelconque.

Harry s'en remit donc au hasard pour lui dévoiler ce mystère. De loin en loin, il vit encore apparaître des lueurs qui voltigeaient d'un point à l'autre comme des feux de Saint-Elme; mais leur apparition n'avait que la durée d'un éclair et il fallut renoncer à en découvrir la cause.

Si Jack Ryan et les autres superstitieux de la houillère eussent aperçu ces flammes fantastiques, ils n'auraient certainement pas manqué de crier au surnaturel !.

Mais Harry n'y songeait même pas. Le vieux Simon non plus. Et lorsque tous deux causaient de ces phénomènes, dus évidemment à une cause purement physique :

« Mon garçon, répondait le vieil overman, attendons ! Tout cela s'expliquera quelque jour ! »

Toutefois, il faut observer que jamais, jusqu'alors, ni Harry, ni son père n'avaient été en butte à un acte de violence.

Si la pierre, tombée ce jour même aux pieds de James Starr, avait été lancée par la main d'un malfaiteur, c'était le premier acte criminel de ce genre.

James Starr, interrogé, fus d'avis que cette pierre s'était détachée de la voûte de la galerie. Mais Harry n'admit pas une explication si simple. La pierre, suivant lui, n'était pas tombée, elle avait été lancée. A moins de rebondir, elle n'eût jamais décrit une trajectoire, si elle n'eût été mue par une impulsion étrangère.

Harry voyait donc là une tentative directe contre lui et son père, ou même contre l'ingénieur. Après ce qu'on sait, peut-être conviendra-t-on qu'il était fondé à le croire.

VII

Une expérience de Simon Ford

Midi sonnait à la vieille horloge de bois de la salle, lorsque James Starr et ses deux compagnons quittèrent le cottage.

La lumière, pénétrant à travers le puits d'aération, éclairait vaguement la clairière. La lampe d'Harry eût été inutile alors, mais elle ne devait pas tarder à servir, car c'était vers l'extrémité même de la fosse Dochart que le vieil overman allait conduire l'ingénieur.

Après avoir suivi sur un espace de deux milles la galerie principale, les trois explorateurs -- on verra qu'il s'agissait d'une exploration -- arrivèrent à l'orifice d'un étroit tunnel. C'était comme une contre-nef dont la voûte reposait sur un boisage, tapissé d'une mousse blanchâtre. Elle suivait à peu près la ligne que traçait, à quinze cents pieds au-dessus, le haut cours du Forth.

Pour le cas où James Starr eût été moins familiarisé qu'autrefois avec le dédale de la fosse Dochart, Simon Ford lui rappelait les dispositions du plan général, en les comparant au tracé géographique du sol.

James Starr et Simon Ford marchaient donc en causant.

En avant, Harry éclairait la route. Il cherchait, en projetant brusquement de vifs éclats lumineux vers les sombres anfractuosités, à découvrir quelque ombre suspecte.

« Irons-nous loin ainsi, vieux Simon ? demanda l'ingénieur.

-- Encore un demi-mille, monsieur James ! Autrefois, nous aurions fait cette route en berline, sur les tramways à traction mécanique ! Mais que ces temps sont loin !

-- Nous nous dirigeons donc vers l'extrémité du dernier filon ? demanda James Starr.

-- Oui. ! Je vois que vous connaissez encore bien la mine.

-- Eh ! Simon, répondit l'ingénieur, il serait difficile d'aller plus loin, si je ne me trompe ?

-- En effet, monsieur James. C'est là que nos rivelaines ont arraché le dernier morceau de houille du gisement ! Je me le rappelle comme si j'y étais encore ! C'est moi qui ai donné ce dernier coup, et il a retenti dans ma poitrine plus violemment que sur la roche ! Tout n'était plus que grès ou schiste autour de nous, et, quand le wagonnet a roulé vers le puits d'extraction, je l'ai suivi, le coeur ému, comme on suit un convoi de pauvre ! Il me semblait que c'était l'âme de la mine qui s'en allait avec lui ! »

La gravité avec laquelle le vieil overman prononça ces paroles impressionna l'ingénieur, bien près de partager de tels sentiments.