« Bonjour, Madge, dit l'ingénieur.
-- Bonjour, monsieur James, répondit la brave Écossaise, qui se leva pour recevoir son hôte.
-- Je vous revois avec plaisir, Madge.
-- Et vous avez raison, monsieur James, car il est agréable de retrouver ceux pour lesquels on s'est toujours montré bon.
-- La soupe attend, femme, dit alors Simon Ford, et il ne faut pas la faire attendre, non plus que M. James. Il a une faim de mineur, et il verra que notre garçon ne nous laisse manquer de rien au cottage ! -- A propos, Harry, ajouta le vieil overman en se retournant vers son fils, Jack Ryan est venu te voir.
-- Je le sais, père ! Nous l'avons rencontré dans le puits Yarow.
-- C'est un bon et gai camarade, dit Simon Ford. Mais il semble se plaire là-haut ! Ça n'avait pas du vrai sang de mineur dans les veines. -- A table, monsieur James, et déjeunons copieusement, car il est possible que nous ne puissions souper que fort tard. »
Au moment où l'ingénieur et ses hôtes allaient prendre place :
« Un instant, Simon, dit James Starr, voulez-vous que je mange de bon appétit ?
-- Ce sera nous faire tout l'honneur possible, monsieur James, répondit Simon Ford.
-- Eh bien, il faut pour cela n'avoir aucune préoccupation. -- Or, j'ai deux questions à vous adresser.
-- Allez, monsieur James.
-- Votre lettre me parle d'une communication qui doit être de nature à m'intéresser ?
-- Elle est très intéressante, en effet.
-- Pour vous ?...
-- Pour vous et pour moi, monsieur James. Mais je désire ne vous la faire qu'après le repas et sur les lieux mêmes. Sans cela, vous ne voudriez pas me croire.
-- Simon, reprit l'ingénieur, regardez-moi bien... là... dans les yeux. Une communication intéressante ?... Oui... Bon !... Je ne vous en demande pas davantage, ajouta-t-il, comme s'il eût lu la réponse qu'il espérait dans le regard du vieil overman.
-- Et la deuxième question ? demanda celui-ci.
-- Savez-vous, Simon, quelle est la personne qui a pu m'écrire ceci ? » répondit l'ingénieur, en présentant la lettre anonyme qu'il avait reçue.
Simon Ford prit la lettre, et il la lut très attentivement.
Puis, la montrant à son fils :
« Connais-tu cette écriture ? dit-il.
-- Non, père, répondit Harry.
-- Et cette lettre était timbrée du bureau de poste d'Aberfoyle ? demanda Simon Ford à l'ingénieur.
-- Oui, comme la vôtre, répondit James Starr.
-- Que penses-tu de cela, Harry ? dit Simon Ford, dont le front s'assombrit un instant.
-- Je pense, père, répondit Harry, que quelqu'un a eu un intérêt quelconque à empêcher M. James Starr de venir au rendez-vous que vous lui donniez.
-- Mais qui ? s'écria le vieux mineur. Qui donc a pu pénétrer assez avant dans le secret de ma pensée ?... »
Et Simon Ford, pensif, tomba dans une rêverie dont la voix de Madge le tira bientôt.
« Asseyons-nous, monsieur Starr, dit-elle. La soupe va refroidir. Pour le moment, ne songeons plus à cette lettre ! »
Et, sur l'invitation de la vieille femme, chacun prit place à la table -- James Starr vis-à-vis de Madge, pour lui faire honneur --, le père et le fils l'un vis-à-vis de l'autre.
Ce fut un bon repas écossais. Et, d'abord, on mangea d'un « hotchpotch », soupe dont la viande nageait au milieu d'un excellent bouillon. Au dire du vieux Simon, sa compagne ne connaissait pas de rivale dans l'art de préparer le hotchpotch.
Il en était de même, d'ailleurs, du « cockyleeky », sorte de ragoût de coq, accommodé aux poireaux, qui ne méritait que des éloges.
Le tout fut arrosé d'une excellente ale, puisée aux meilleurs brassins des fabriques d'Édimbourg.
Mais le plat principal consista en un « haggis », pouding national, fait de viandes et de farine d'orge. Ce mets remarquable, qui inspira au poète Burns l'une de ses meilleures odes, eut le sort réservé aux belles choses de ce monde : il passa comme un rêve.
Madge reçut les sincères compliments de son hôte.
Le déjeuner se termina par un dessert composé de fromage et de « cakes », gâteaux d'avoine, finement préparés, accompagnés de quelques petits verres « d'usquebaugh », excellente eau-de-vie de grains, qui avait vingt-cinq ans, -- juste l'âge d'Harry.