Jules Verne

Ce repas dura une bonne heure. James Starr et Simon Ford n'avaient pas seulement bien mangé, ils avaient aussi bien causé,-- principalement du passé de la vieille houillère d'Aberfoyle.

Harry, lui, était plutôt resté silencieux. Deux fois il avait quitté la table et même la maison. Il était évident qu'il éprouvait quelque inquiétude depuis l'incident de la pierre, et il voulait observer les alentours du cottage. La lettre anonyme n'était pas faite, non plus, pour le rassurer.

Ce fut pendant une de ces sorties que l'ingénieur dit à Simon Ford et Madge :

« Un brave garçon que vous avez là, mes amis !

-- Oui, monsieur James, un être bon et dévoué, répondit vivement le vieil overman.

-- Il se plaît avec vous, au cottage ?

-- Il ne voudrait pas nous quitter.

-- Vous songerez à le marier, cependant ?

-- Marier Harry ! s'écria Simon Ford. Et à qui ? A une fille de là-haut, qui aimerait les fêtes, la danse, qui préférerait son clan à notre houillère ! Harry n'en voudrait pas !

-- Simon, répondit Madge, tu n'exigeras pourtant pas que jamais notre Harry ne prenne femme...

-- Je n'exigerai rien, répondit le vieux mineur, mais cela ne presse pas ! Qui sait si nous ne lui trouverons point... »

Harry rentrait en ce moment, et Simon Ford se tut.

Lorsque Madge se leva de table, tous l'imitèrent et vinrent s'asseoir un instant à la porte du cottage.

« Eh bien, Simon, dit l'ingénieur, je vous écoute !

-- Monsieur James, répondit Simon Ford, je n'ai pas besoin de vos oreilles, mais de vos jambes. -- Vous êtes-vous bien reposé ?

-- Bien reposé et bien refait, Simon. Je suis prêt à vous accompagner partout où il vous plaira.

-- Harry, dit Simon Ford, en se retournant vers son fils, allume nos lampes de sûreté.

-- Vous prenez des lampes de sûreté ! s'écria James Starr, assez surpris, puisque les explosions de grisou n'étaient plus à craindre dans une fosse absolument vide de charbon.

-- Oui, monsieur James, par prudence !

-- N'allez-vous pas aussi, mon brave Simon, me proposer de revêtir un habit de mineur ?

-- Pas encore, monsieur James ! pas encore ! » répondit le vieil overman, dont les yeux brillaient singulièrement sous leurs profondes orbites.

Harry, qui était rentré dans le cottage, en ressortit presque aussitôt, rapportant trois lampes de sûreté.

Harry remit une de ces lampes à l'ingénieur, l'autre à son père, et il garda la troisième suspendue à sa main gauche, pendant que sa main droite s'armait d'un long bâton.

« En route ! dit Simon Ford, qui prit un pic solide, déposé à la porte du cottage.

-- En route ! répondit l'ingénieur. -- Au revoir Madge !

-- Dieu vous assiste ! répondit l'Écossaise.

-- Un bon souper, femme, tu entends, s'écria Simon Ford. Nous aurons faim à notre retour, et nous lui ferons honneur ! »

[1] Le sawney, c'est l'Écossais, comme John Bull est l'Anglais, et Paddy l'Irlandais.

[2] Stations balnéaires des environs d'Édimbourg.

VI

Quelques phénomènes inexplicables

On sait ce que sont les croyances superstitieuses dans les hautes et basses terres de l'Écosse. En certains clans, les tenanciers du laird, réunis pour la veillée, aiment à redire les contes empruntés au répertoire de la mythologie hyperboréenne. L'instruction, quoique largement et libéralement répandue dans le pays, n'a pas pu réduire encore à l'état de fictions ces légendes, qui semblent inhérentes au sol même de la vieille Calédonie. C'est encore le pays des esprits et des revenants, des lutins et des fées. Là apparaissent toujours le génie malfaisant qui ne s'éloigne que moyennant finances, le « Seer » des Highlanders, qui, par un don de seconde vue, prédit les morts prochaines, le « May Moullach », qui se montre sous la forme d'une jeune fille aux bras velus et prévient les familles des malheurs dont elles sont menacées, la fée « Branshie », qui annonce les événements funestes, les « Brawnies », auxquels est confiée la garde du mobilier domestique, l'« Urisk », qui fréquente plus particulièrement les gorges sauvages du lac Katrine, -- et tant d'autres.