Jules Verne

Cependant, il était soutenu par une idée fixe.

« Non ! non ! la houillère n'est pas épuisée ! » répétait-il.

Et celui-là se serait fait un mauvais parti, qui aurait mis en doute devant Simon Ford qu'un jour l'ancienne Aberfoyle ressusciterait d'entre les mortes ! Il n'avait donc jamais abandonné l'espoir de découvrir quelque nouvelle couche qui rendrait à la mine sa splendeur passée. Oui ! il aurait volontiers, s'il l'avait fallu, repris le pic du mineur, et ses vieux bras, solides encore, se seraient vigoureusement attaqués à la roche. Il allait donc à travers les obscures galeries, tantôt seul, tantôt avec son fils, observant, cherchant, pour rentrer chaque jour fatigué, mais non désespéré, au cottage.

La digne compagne de Simon Ford, c'était Madge, grande et forte, la « goodwife », la « bonne femme », suivant l'expression écossaise. Pas plus que son mari, Madge n'eût voulu quitter la fosse Dochart. Elle partageait à cet égard toutes ses espérances et ses regrets. Elle l'encourageait, elle le poussait en avant, elle lui parlait avec une sorte de gravité, qui réchauffait le coeur du vieil overman.

« Aberfoyle n'est qu'endormie, Simon, lui disait-elle. C'est toi qui as raison. Ce n'est qu'un repos, ce n'est pas la mort ! »

Madge savait aussi se passer du monde extérieur et concentrer le bonheur d'une existence à trois dans le sombre cottage.

Ce fut là qu'arriva James Starr.

L'ingénieur était bien attendu. Simon Ford, debout sur sa porte, du plus loin que la lampe d'Harry lui annonça l'arrivée de son ancien « viewer », s'avança vers lui.

« Soyez le bienvenu, monsieur James ! lui cria-t-il d'une voix qui résonnait sous la voûte du schiste. Soyez le bienvenu au cottage du vieil overman ! Pour être enfouie à quinze cents pieds sous terre, la maison de la famille Ford n'en est pas moins hospitalière !

-- Comment allez-vous, brave Simon ? demanda James Starr, en serrant la main que lui tendait son hôte.

-- Très bien, monsieur Starr. Et comment en serait-il autrement ici, à l'abri de toute intempérie de l'air ? vos ladies qui vont respirer à Newhaven ou à Porto-Bello [2*] , pendant l'été, feraient mieux de passer quelques mois dans la houillère d'Aberfoyle ! Elles ne risqueraient point d'y gagner quelque gros rhume, comme dans les rues humides de la vieille capitale.

-- Ce n'est pas moi qui vous contredirai, Simon, répondit James Starr, heureux de retrouver l'overman tel qu'il était autrefois ! vraiment, je me demande pourquoi je ne change pas ma maison de la Canongate pour quelque cottage voisin du vôtre !

-- A votre service, monsieur Starr. Je connais un de vos anciens mineurs qui serait particulièrement enchanté de n'avoir entre vous et lui qu'un mur mitoyen.

-- Et Madge ?... demanda l'ingénieur.

-- La bonne femme se porte encore mieux que moi, si cela est possible ! répondit Simon Ford, et elle se fait une joie de vous voir à sa table. Je pense qu'elle se sera surpassée pour vous recevoir.

-- Nous verrons cela, Simon, nous verrons cela ! dit l'ingénieur, que l'annonce d'un bon déjeuner ne pouvait laisser indifférent, après cette longue marche.

-- Vous avez faim, monsieur Starr ?

-- Positivement faim. Le voyage m'a ouvert l'appétit. Je suis venu par un temps affreux !...

-- Ah ! il pleut, là-haut ! répondit Simon Ford d'un air de pitié très marqué.

-- Oui, Simon, et les eaux du Forth sont agitées aujourd'hui comme celles d'une mer !

-- Eh bien, monsieur James, ici, il ne pleut jamais. Mais je n'ai pas à vous peindre des avantages que vous connaissez aussi bien que moi ! vous voilà arrivé au cottage. C'est le principal, et, je vous le répète, soyez le bienvenu ! »

Simon Ford, suivi d'Harry, fit entrer dans l'habitation James Starr, qui se trouva au milieu d'une vaste salle, éclairée par plusieurs lampes, dont l'une était suspendue aux solives coloriées du plafond.

La table, recouverte d'une nappe égayée de fraîches couleurs, n'attendait plus que les convives, auxquels quatre chaises, rembourrées de vieux cuir, étaient réservées.