Jules Verne

Depuis que j'ai quitté la fosse, mes yeux ne sont plus habitués, comme autrefois, à voir dans l'obscurité.

-- Et moi, je me rappelle maintenant un gamin qui chantait toujours. voilà bien dix ans de cela, mon garçon ! C'était toi, sans doute ?

-- Moi-même, monsieur Starr, et, en changeant de métier, je n'ai pas changé d'humeur, voyez-vous ? Bah ! rire et chanter, cela vaut mieux, j'imagine, que pleurer et geindre !

-- Sans doute, Jack Ryan. -- Et que fais-tu, depuis que tu as quitté la mine ?

-- Je travaille à la ferme de Melrose, près d'Irvine, dans le comté de Renfrew, à quarante milles d'ici. Ah ! ça ne vaut pas nos houillères d'Aberfoyle ! Le pic allait mieux à ma main que la bêche ou l'aiguillon ! Et puis, dans la vieille fosse, il y avait des coins sonores, des échos joyeux qui vous renvoyaient gaillardement vos chansons, tandis que là-haut !... Mais vous allez donc rendre visite au vieux Simon, monsieur Starr ?

-- Oui, Jack, répondit l'ingénieur.

-- Que je ne vous retarde pas...

-- Dis-moi, Jack, demanda Harry, quel motif t'a amené au cottage aujourd'hui ?

-- Je voulais te voir, camarade, répondit Jack Ryan, et t'inviter à la fête du clan d'Irvine. Tu sais, je suis le « piper [1*] » de l'endroit ! On chantera, on dansera !

-- Merci, Jack, mais cela m'est impossible.

-- Impossible ?

-- Oui, la visite de M. Starr peut se prolonger, et je dois le reconduire à Callander.

-- Eh ! Harry, la fête du clan d'Irvine n'arrive que dans huit jours. D'ici là, la visite de M. Starr sera terminée, je suppose, et rien ne te retiendra plus au cottage !

-- En effet, Harry, répondit James Starr. Il faut profiter de l'invitation que te fait ton camarade Jack !

-- Eh bien, j'accepte, Jack, dit Harry. Dans huit jours, nous nous retrouverons à la fête d'Irvine.

-- Dans huit jours, c'est bien convenu, répondit Jack Ryan. Adieu, Harry ! votre serviteur, monsieur Starr ! Je suis très content de vous avoir revu ! Je pourrai donner de vos nouvelles aux amis. Personne ne vous a oublié, monsieur l'ingénieur.

-- Et je n'ai oublié personne, dit James Starr.

-- Merci pour tous, monsieur, répondit Jack Ryan.

-- Adieu, Jack ! » dit Harry, en serrant une dernière fois la main de son camarade.

Et Jack Ryan, reprenant sa chanson, disparut bientôt dans les hauteurs du puits, vaguement éclairées par sa lampe.

Un quart d'heure après, James Starr et Harry descendaient la dernière échelle, et mettaient le pied sur le sol du dernier étage de la fosse.

Autour du rond-point que formait le fond du puits Yarow rayonnaient diverses galeries qui avaient servi à l'exploitation du dernier filon carbonifère de la mine. Elles s'enfonçaient dans le massif de schistes et de grès, les unes étançonnées par des trapèzes de grosses poutres à peine équarries, les autres doublées d'un épais revêtement de pierre. Partout des remblais remplaçaient les veines dévorées par l'exploitation. Les piliers artificiels étaient faits de pierres arrachées aux carrières voisines, et maintenant ils supportaient le sol, c'est-à-dire le double étage des terrains tertiaires et quaternaires, qui reposaient autrefois sur le gisement même. L'obscurité emplissait alors ces galeries, jadis éclairées soit par la lampe du mineur soit par la lumière électrique, dont, pendant les dernières années, l'emploi avait été introduit dans les fosses. Mais les sombres tunnels ne résonnaient plus du grincement des wagonnets roulant sur leurs rails, ni du bruit des portes d'air qui se refermaient brusquement, ni des éclats de voix des rouleurs, ni du hennissement des chevaux et des mules, ni des coups de pic de l'ouvrier, ni des fracas du foudroyage qui faisait éclater le massif.

« Voulez-vous vous reposer un instant, monsieur Starr ? demanda le jeune homme.

-- Non, mon garçon, répondit l'ingénieur, car j'ai hâte d'arriver au cottage du vieux Simon.

-- Suivez-moi donc, monsieur Starr. Je vais vous guider, et, cependant, je suis sûr que vous reconnaîtriez parfaitement votre route dans cet obscur dédale des galeries.