-- Oui, certes ! J'ai encore dans la tête tout le plan de la vieille fosse. »
Harry, suivi de l'ingénieur et levant sa lampe pour le mieux éclairer, s'enfonça dans une haute galerie, semblable à une contre-nef de cathédrale. Leur pied, à tous deux, heurtait encore les traverses de bois qui supportaient les rails à l'époque de l'exploitation.
Mais à peine avaient-ils fait cinquante pas, qu'une énorme pierre vint tomber aux pieds de James Starr.
« Prenez garde, monsieur Starr ! s'écria Harry, en saisissant le bras de l'ingénieur.
-- Une pierre, Harry ! Ah ! ces vieilles voûtes ne sont plus assez solides, sans doute, et...
-- Monsieur Starr, répondit Harry Ford, il me semble que la pierre a été jetée... et jetée par une main d'homme !...
-- Jetée ! s'écria James Starr. Que veux-tu dire, mon garçon ?
-- Rien, rien... monsieur Starr, répondit évasivement Harry, dont le regard, devenu sérieux, aurait voulu percer ces épaisses murailles. Continuons notre route. Prenez mon bras, je vous prie, et n'ayez aucune crainte de faire un faux pas.
-- Me voilà, Harry ! »
Et tous deux s'avancèrent, pendant qu'Harry regardait en arrière, en projetant l'éclat de sa lampe dans les profondeurs de la galerie.
« Serons-nous bientôt arrivés ? demanda l'ingénieur.
-- Dans dix minutes au plus.
-- Bien.
-- Mais, murmurait Harry, cela n'en est pas moins singulier. C'est la première fois que pareille chose m'arrive. Il a fallu que cette pierre vînt tomber juste au moment où nous passions !...
-- Harry, il n'y a eu là qu'un hasard !
-- Un hasard... répondit le jeune homme en secouant la tête. Oui... un hasard... »
Harry s'était arrêté. Il écoutait.
« Qu'y a-t-il, Harry ? demanda l'ingénieur.
-- J'ai cru entendre marcher derrière nous », répondit le jeune mineur, qui prêta plus attentivement l'oreille.
Puis :
« Non ! je me serai trompé, dit-il. Appuyez-vous bien sur mon bras, monsieur Starr. Servez-vous de moi comme d'un bâton...
-- Un bâton solide, Harry, répondit James Starr. Il n'en est pas de meilleur qu'un brave garçon tel que toi ! »
Tous deux continuèrent à marcher silencieusement à travers la sombre nef.
Souvent, Harry, évidemment préoccupé, se retournait, essayant de surprendre, soit un bruit éloigné, soit quelque lueur lointaine.
Mais, derrière et devant lui, tout n'était que silence et ténèbres.
[1] Le _piper_ est le joueur de cornemuse en Écosse.
V
La Famille Ford
Dix minutes après, James Starr et Harry sortaient enfin de la galerie principale.
Le jeune mineur et son compagnon étaient arrivés au fond d'une clairière, -- si toutefois ce mot peut servir à désigner une vaste et obscure excavation. Cette excavation, cependant, n'était pas absolument dépourvue de jour. Quelques rayons lui arrivaient par l'orifice d'un puits abandonné, qui avait été foncé dans les étages supérieurs. C'était par ce conduit que s'établissait le courant d'aération de la fosse Dochart. Grâce à sa moindre densité, l'air chaud de l'intérieur était entraîné vers le puits Yarow.
Donc, un peu d'air et de clarté pénétrait à la fois à travers l'épaisse voûte de schiste jusqu'à la clairière.
C'était là que Simon Ford habitait depuis dix ans, avec sa famille, une souterraine demeure, évidée dans le massif schisteux, à l'endroit même où fonctionnaient autrefois les puissantes machines, destinées à opérer la traction mécanique de la fosse Dochart.
Telle était l'habitation -- à laquelle il donnait volontiers le nom de « cottage » --, où résidait le vieil overman. Grâce à une certaine aisance, due à une longue existence de travail, Simon Ford aurait pu vivre en plein soleil, au milieu des arbres, dans n'importe quelle ville du royaume; mais les siens et lui avaient préféré ne pas quitter la houillère, où ils étaient heureux, ayant mêmes idées, mêmes goûts. Oui ! il leur plaisait, ce cottage, enfoui à quinze cents pieds au-dessous du sol écossais. Entre autres avantages, il n'y avait pas à craindre que les agents du fisc, les « stentmaters » chargés d'établir la capitation, vinssent jamais y relancer ses hôtes !
A cette époque, Simon Ford, l'ancien overman de la fosse Dochart, portait vigoureusement encore ses soixante-cinq ans.