Jules Verne

-- Une fusée pour ce carré de bois, répondit Octave, ce serait trop d'honneur ! >>

Et il commença d'attaquer la poterne à grands coups de pic.

Il l'avait à peine ébranlée, qu'on entendit une serrure intérieure grincer sous l'effort d'une clef, et deux verrous glisser dans leurs gardes.

La porte s'entrouvrit, retenue en dedans par une grosse chaîne.

<< _Wer da ?_ >> (Qui va là ?) dit une voix rauque.

XVII EXPLICATIONS A COUPS DE FUSIL

Les deux jeunes gens ne s'attendaient à rien moins qu'à une pareille question. Ils en furent plus surpris véritablement qu'ils ne l'auraient été d'un coup de fusil.

De toutes les hypothèses que Marcel avait imaginées au sujet de cette ville en léthargie, la seule qui ne se fût pas présentée à son esprit, était celle-ci : un être vivant lui demandant tranquillement compte de sa visite. Son entreprise, presque légitime, si l'on admettait que Stahlstadt fût complètement déserte, revêtait une tout autre physionomie, du moment où la cité possédait encore des habitants. Ce qui n'était, dans le premier cas, qu'une sorte d'enquête archéologique, devenait, dans le second, une attaque à main armée avec effraction.

Toutes ces idées se présentèrent à l'esprit de Marcel avec tant de force, qu'il resta d'abord comme frappé de mutisme.

<< _Wer da ?_ >> répéta la voix, avec un peu d'impatience.

L'impatience n'était évidemment pas tout à fait déplacée. Franchir pour arriver à cette porte des obstacles si variés, escalader des murailles et faire sauter des quartiers de ville, tout cela pour n'avoir rien à répondre lorsqu'on vous demande simplement :

<< Qui va là ? >> cela ne laissait pas d'être surprenant.

Une demi-minute suffit à Marcel pour se rendre compte de la fausseté de sa position, et aussitôt, s'exprimant en allemand :

<< Ami ou ennemi à votre gré ! répondit-il. Je demande à parler à Herr Schultze. >>

Il n'avait pas articulé ces mots qu'une exclamation de surprise se fit entendre à travers la porte entrebâillée :

<< _Ach !_ >>

Et, par l'ouverture, Marcel put apercevoir un coin de favoris rouges, une moustache hérissée, un oeil hébété, qu'il reconnut aussitôt. Le tout appartenait à Sigimer, son ancien garde du corps.

<< Johann Schwartz ! s'écria le géant avec une stupéfaction mêlée de joie. Johann Schwartz ! >>

Le retour inopiné de son prisonnier paraissait l'étonner presque autant qu'il avait dû l'être de sa disparition mystérieuse. << Puis-je parler à Herr Schultze ? >> répéta Marcel, voyant qu'il ne recevait d'autre réponse que cette exclamation.

Sigimer secoua la tête.

<< Pas d'ordre ! dit-il. Pas entrer ici sans ordre !

-- Pouvez-vous du moins faire savoir à Herr Schultze que je suis là et que je désire l'entretenir ?

-- Herr Schultze pas ici ! Herr Schultze parti ! répondit le géant avec une nuance de tristesse.

-- Mais où est-il ? Quand reviendra-t-il ?

-- Ne sais ! Consigne pas changée ! Personne entrer sans ordre ! >>

Ces phrases entrecoupées furent tout ce que Marcel put tirer de Sigimer, qui, à toutes les questions, opposa un entêtement bestial.

Octave finit par s'impatienter.

<< A quoi bon demander la permission d'entrer ? dit-il. Il est bien plus simple de la prendre ! >>

Et il se rua contre la porte pour essayer de la forcer. Mais la chaîne résista, et une poussée, supérieure à la sienne, eut bientôt refermé le battant, dont les deux verrous furent successivement tirés.

<< Il faut qu'ils soient plusieurs derrière cette planche ! >> s'écria Octave, assez humilié de ce résultat.

Il appliqua son oeil au trou de vrille, et, presque aussitôt, il poussa un cri de surprise :

<< Il y a un second géant !

-- Arminius ? >> répondit Marcel.

Et il regarda à son tour par le trou de vrille.

<< Oui ! c'est Arminius, le collègue de Sigimer ! >>

Tout à coup, une autre voix, qui semblait venir du ciel, fit lever la tête à Marcel.

<< _Wer da ?_ >> disait la voix.

C'était celle d'Arminius, cette fois.

La tête du gardien dépassait la crête de la muraille, qu'il devait avoir atteinte à l'aide d'une échelle.