<< Allons, vous le savez bien, Arminius ! répondit Marcel. Voulez-vous ouvrir, oui ou non ? >>
Il n'avait pas achevé ces mots que le canon d'un fusil se montra sur la crête du mur. Une détonation retentit, et une balle vint raser le bord du chapeau d'Octave.
<< Eh bien, voilà pour te répondre ! >> s'écria Marcel, qui, introduisant un saucisson de dynamite sous la porte, la fit voler en éclats.
A peine la brèche était-elle faite, que Marcel et Octave, la carabine au poing et le couteau aux dents, s'élancèrent dans le parc.
Contre le pan du mur, lézardé par l'explosion, qu'ils venaient de franchir, une échelle était encore dressée, et, au pied de cette échelle, on voyait des traces de sang. Mais ni Sigimer ni Arminius n'étaient là pour défendre le passage.
Les jardins s'ouvraient devant les deux assiégeants dans toute la splendeur de leur végétation. Octave était émerveillé.
<< C'était magnifique !... dit-il. Mais attention !... Déployons nous en tirailleurs !... Ces mangeurs de choucroute pourraient bien s'être tapis derrière les buissons ! >>
Octave et Marcel se séparèrent, et, prenant chacun l'un des côtés de l'allée qui s'ouvrait devant eux ils avancèrent avec prudence, d'arbre en arbre, d'obstacle en obstacle, selon les principes de la stratégie individuelle la plus élémentaire.
La précaution était sage. Ils n'avaient pas fait cent pas, qu'un second coup de fusil éclata. Une balle fit sauter l'écorce d'un arbre que Marcel venait à peine de quitter.
<< Pas de bêtises !... Ventre à terre ! >> dit Octave à demi voix.
Et, joignant l'exemple au précepte, il rampa sur les genoux et sur les coudes jusqu'à un buisson épineux qui bordait le rond-point au centre duquel s'élevait la Tour du Taureau. Marcel, qui n'avait pas suivi assez promptement cet avis, essuya un troisième coup de feu et n'eut que le temps de se jeter derrière le tronc d'un palmier pour en éviter un quatrième.
<< Heureusement que ces animaux-là tirent comme des conscrits ! cria Octave à son compagnon, séparé de lui par une trentaine de pas.
-- Chut ! répondit Marcel des yeux autant que des lèvres. Vois-tu la fumée qui sort de cette fenêtre, au rez-de-chaussée ?... C'est là qu'ils sont embusqués, les bandits !... Mais je veux leur jouer un tour de ma façon ! >>
En un clin d'oeil, Marcel eut coupé derrière le buisson un échalas de longueur raisonnable ; puis, se débarrassant de sa vareuse, il la jeta sur ce bâton, qu'il surmonta de son chapeau, et il fabriqua ainsi un mannequin présentable. Il le planta alors à la place qu'il occupait, de manière à laisser visibles le chapeau et les deux manches, et, se glissant vers Octave, il lui siffla dans l'oreille :
<< Amuse-les par ici en tirant sur la fenêtre, tantôt de ta place, tantôt de la mienne ! Moi, je vais les prendre à revers ! >>
Et Marcel, laissant Octave tirailler, se coula discrètement dans les massifs qui faisaient le tour du rond-point.
Un quart d'heure se passa, pendant lequel une vingtaine de balles furent échangées sans résultat.
La veste de Marcel et son chapeau étaient littéralement criblés ; mais, personnellement, il ne s'en trouvait pas plus mal. Quant aux persiennes du rez-de-chaussée, la carabine d'Octave les avait mises en miettes.
Tout à coup, le feu cessa, et Octave entendit distinctement ce cri étouffé :
<< A moi !... Je le tiens !... >>
Quitter son abri, s'élancer à découvert dans le rond-point, monter à l'assaut de la fenêtre, ce fut pour Octave l'affaire d'une demi-minute. Un instant après, il tombait dans le salon.
Sur le tapis, enlacés comme deux serpents, Marcel et Sigimer luttaient désespérément. Surpris par l'attaque soudaine de son adversaire, qui avait ouvert à l'improviste une porte intérieure, le géant n'avait pu faire usage de ses armes. Mais sa force herculéenne en faisait un redoutable adversaire, et, quoique jeté à terre, il n'avait pas perdu l'espoir de reprendre le dessus. Marcel, de son côté, déployait une vigueur et une souplesse remarquables.
La lutte eût nécessairement fini par la mort de l'un des combattants, si l'intervention d'Octave ne fat arrivée à point pour amener un résultat moins tragique.