Jules Verne

Mais rien de tout cela n'était pour faire reculer Marcel.

Voyant Octave refait et reposé, Marcel se dirigea avec lui vers le bout de la rue qui formait l'axe du secteur, jusqu'au pied de la grande muraille en pierre de taille.

<< Que dirais-tu d'un boyau de mine là-dedans ? demandat-il. -- Ce sera dur, mais nous ne sommes pas des fainéants ! >> répondit Octave, prêt à tout tenter.

Le travail commença. Il fallut déchausser la base de la muraille, introduire un levier dans l'interstice de deux pierres, en détacher une, et enfin, à l'aide d'un foret, opérer la percée de plusieurs petits boyaux parallèles. A dix heures, tout était terminé, les saucissons de dynamite étaient en place, et la mèche fut allumée.

Marcel savait qu'elle durerait cinq minutes, et comme il avait remarqué que la cantine, située dans un sous-sol, formait une véritable cave voûtée, il vint s'y réfugier avec Octave.

Tout à coup, l'édifice et la cave même furent secoués comme par l'effet d'un tremblement de terre. Une détonation formidable, pareille à celle de trois ou quatre batteries de canons tonnant à la fois, déchira les airs, suivant de près la secousse. Puis, après deux à trois secondes, une avalanche de débris projetés de tous les côtés retomba sur le sol.

Ce fut, pendant quelques instants, un roulement continu de toits s'effondrant, de poutres craquant, de murs s'écroulant, au milieu des cascades claires des vitres cassées.

Enfin, cet horrible vacarme prit fin. Octave et Marcel quittèrent alors leur retraite.

Si habitué qu'il fût aux prodigieux effets des substances explosives, Marcel fut émerveillé des résultats qu'il constata. La moitié du secteur avait sauté, et les murs démantelés de tous les ateliers voisins du Bloc central ressemblaient à ceux d'une ville bombardée. De toutes parts les décombres amoncelés, les éclats de verre et les plâtres couvraient le sol, tandis que des nuages de poussière, retombant lentement du ciel où l'explosion les avait projetés, s'étalaient comme une neige sur toutes ces ruines.

Marcel et Octave coururent à la muraille intérieure. Elle était détruite aussi sur une largeur de quinze à vingt mètres, et, de l'autre côté de la brèche, l'ex-dessinateur du Bloc central aperçut la cour, à lui bien connue, où il avait passé tant d'heures monotones.

Du moment où cette cour n'était plus gardée, la grille de fer qui l'entourait n'était pas infranchissable... Elle fut bientôt franchie.

Partout le même silence.

Marcel passa en revue les ateliers où jadis ses camarades admiraient ses épures. Dans un coin, il retrouva, à demi ébauché sur sa planche, le dessin de machine à vapeur qu'il avait commencé, lorsqu'un ordre de Herr Schultze l'avait appelé au parc. Au salon de lecture, il revit les journaux et les livres familiers.

Toutes choses avaient gardé la physionomie d'un mouvement suspendu, d'une vie interrompue brusquement.

Les deux jeunes gens arrivèrent à la limite intérieure du Bloc central et se trouvèrent bientôt au pied de la muraille qui devait, dans la pensée de Marcel, les séparer du parc.

<< Est-ce qu'il va falloir encore faire danser ces moellons-là ? lui demanda Octave.

-- Peut-être... mais, pour entrer, nous pourrions d'abord chercher une porte qu'une simple fusée enverrait en l'air. >>

Tous deux se mirent à tourner autour du parc en longeant la muraille. De temps à autre, ils étaient obligés de faire un détour, de doubler un corps de bâtiment qui s'en détachait comme un éperon, ou d'escalader une grille. Mais ils ne la perdaient jamais de vue, et ils furent bientôt récompensés de leurs peines. Une petite porte, basse et louche, qui interrompait le muraillement, leur apparut.

En deux minutes, Octave eut percé un trou de vrille à travers les planches de chêne. Marcel, appliquant aussitôt son oeil à cette ouverture, reconnut, à sa vive satisfaction, que, de l'autre côté, s'étendait le parc tropical avec sa verdure éternelle et sa température de printemps.

<< Encore une porte à faire sauter, et nous voilà dans la place ! dit-il à son compagnon.