Jules Verne

Enfin, il était déchargé d'une si terrible inquiétude et respirait à l'aise.

Cependant, le danger commun avait uni plus intimement tous les citoyens. Dans toutes les classes, on s'était rapproché davantage, on s'était reconnus frères, animés de sentiments semblables, touchés par les mêmes intérêts. Chacun avait senti s'agiter dans son coeur un être nouveau. Désormais, pour les habitants de France-Ville, la << patrie >>était née. On avait craint, on avait souffert pour elle ; on avait mieux senti combien on l'aimait.

Les résultats matériels de la mise en état de défense furent aussi tout à l'avantage de la cité. On avait appris à connaître ses forces. On n'aurait plus à les improviser. On était plus sûr de soi. A l'avenir, à tout événement, on serait prêt.

Enfin, jamais le sort de l'oeuvre du docteur Sarrasin ne s'était annoncé si brillant. Et, chose rare, on ne se montra pas ingrat envers Marcel. Encore bien que le salut de tous n'eût pas été son ouvrage, des remerciements publics furent votés au jeune ingénieur comme à l'organisateur de la défense, à celui au dévouement duquel la ville aurait dû de ne pas périr, si les projets de Herr Schultze avaient été mis à exécution.

Marcel, cependant, ne trouvait pas que son rôle fût terminé. Le mystère qui environnait Stahlstadt pouvait encore receler un danger, pensait-il. Il ne se tiendrait pour satisfait qu'après avoir porté une lumière complète au milieu même des ténèbres qui enveloppaient encore la Cité de l'Acier.

Il résolut donc de retourner à Stahlstadt, et de ne reculer devant rien pour avoir le dernier mot de ses derniers secrets.

Le docteur Sarrasin essaya bien de lui représenter que l'entreprise serait difficile, hérissée de dangers, peut-être ; qu'il allait faire là une sorte de descente aux enfers ; qu'il pouvait trouver on ne sait quels abîmes cachés sous chacun de ses pas... Herr Schultze, tel qu'il le lui avait dépeint, n'était pas homme à disparaître impunément pour les autres, à s'ensevelir seul sous les ruines de toutes ses espérances... On était en droit de tout redouter de la dernière pensée d'un tel personnage... Elle ne pouvait rappeler que l'agonie terrible du requin !...

<< C'est précisément parce que je pense, cher docteur, que tout ce que vous imaginez est possible, lui répondit Marcel, que je crois de mon devoir d'aller à Stahlstadt. C'est une bombe dont il m'appartient d'arracher la mèche avant qu'elle n'éclate, et je vous demanderai même la permission d'emmener Octave avec moi.

-- Octave ! s'écria le docteur.

-- Oui ! C'est maintenant un brave garçon, sur lequel on peut compter, et je vous assure que cette promenade lui fera du bien !

-- Que Dieu vous protège donc tous les deux ! >> répondit le vieillard ému en l'embrassant.

Le lendemain matin, une voiture, après avoir traversé les villages abandonnés, déposait Marcel et Octave à la porte de Stahlstadt. Tous deux étaient bien équipés, bien armés, et très décidés à ne pas revenir sans avoir éclairci ce sombre mystère.

Ils marchaient côte à côte sur le chemin de ceinture extérieur qui faisait le tour des fortifications, et la vérité, dont Marcel s'était obstiné à douter jusqu'à ce moment, se dessinait maintenant devant lui.

L'usine était complètement arrêtée, c'était évident. De cette route qu'il longeait avec Octave, sous le ciel noir, sans une étoile au ciel, il aurait aperçu, jadis, la lumière du gaz, l'éclair parti de la baïonnette d'une sentinelle, mille signes de vie désormais absents. Les fenêtres illuminées des secteurs se seraient montrées comme autant de verrières étincelantes. Maintenant, tout était sombre et muet. La mort seule semblait planer sur la cité, dont les hautes cheminées se dressaient à l'horizon comme des squelettes. Les pas de Marcel et de son compagnon sur la chaussée résonnaient dans le vide. L'expression de solitude et de désolation était si forte, qu'Octave ne put s'empêcher de dire :

<< C'est singulier, je n'ai jamais entendu un silence pareil à celui-ci ! On se croirait dans un cimetière ! >>

Il était sept heures, lorsque Marcel et Octave arrivèrent au bord du fossé, en face de la principale porte de Stahlstadt.