Jules Verne

Que faire ?... Hem !... C'était difficile à déterminer. Plus difficile encore à réaliser. Mais enfin tout pouvait encore s'arranger. Lui, Sharp, en avait la certitude. La justice anglaise était une excellente justice -- un peu lente, peut-être, il en convenait --, oui, décidément un peu lente, _pede claudo_... hem !... hem !... mais d'autant plus sûre !... Assurément le docteur Sarrasin ne pouvait manquer dans quelques années d'être en possession de cet héritage, si toutefois... hem !... hem !... ses titres étaient suffisants !...

Le docteur sortit du cabinet de Southampton row fortement ébranlé dans sa confiance et convaincu qu'il allait, ou falloir entamer une série d'interminables procès, ou renoncer à son rêve. Alors, pensant à son beau projet philanthropique, il ne pouvait se retenir d'en éprouver quelque regret.

Cependant, Mr. Sharp manda le professeur Schultze, qui lui avait laissé son adresse. Il lui annonça que le docteur Sarrasin n'avait jamais entendu parler d'une Thérèse Langévol, contestait formellement l'existence d'une branche allemande de la famille et se refusait à toute transaction.

Il en restait donc au professeur, s'il croyait ses droits bien établis, qu'à << plaider >>. Mr. Sharp, qui n'apportait en cette affaire qu'un désintéressement absolu, une véritable curiosité d'amateur, n'avait certe pas l'intention de l'en dissuader. Que pouvait demander un solicitor, sinon un procès, dix procès, trente ans de procès, comme la cause semblait les porter en ses flancs ? Lui, Sharp, personnellement, en était ravi. S'il n'avait pas craint de faire au professeur Schultze une offre suspecte de sa part, il aurait poussé le désintéressement jusqu'à lui indiquer un de ses confrères, qu'il pût charger de ses intérêts... Et certes le choix avait de l'importance ! La carrière légale était devenue un véritable grand chemin !... Les aventuriers et les brigands y foisonnaient !... Il le constatait, la rougeur au front !...

<< Si le docteur français voulait s'arranger, combien cela coûterait-il ? >> demanda le professeur.

Homme sage, les paroles ne pouvaient l'étourdir ! Homme pratique, il allait droit au but sans perdre un temps précieux en chemin ! Mr. Sharp fut un peu déconcerté par cette façon d'agir. Il représenta à Herr Schultze que les affaires ne marchaient point si vite ; qu'on n'en pouvait prévoir la fin quand on en était au commencement ; que, pour amener M. Sarrasin à composition, il fallait un peu traîner les choses afin de ne pas lui laisser connaître que lui, Schultze, était déjà prêt à une transaction.

<< Je vous prie, monsieur, conclut-il, laissez-moi faire, remettez-vous- en à moi et je réponds de tout.

-- Moi aussi, répliqua Schultze, mais j'aimerais savoir à quoi m'en tenir. >>

Cependant, il ne put, cette fois, tirer de Mr. Sharp à quel chiffre le solicitor évaluait la reconnaissance saxonne, et il dut lui laisser là- dessus carte blanche.

Lorsque le docteur Sarrasin, rappelé dès le lendemain par Mr. Sharp, lui demanda avec tranquillité s'il avait quelques nouvelles sérieuses à lui donner, le solicitor, inquiet de cette tranquillité même, l'informa qu'un examen sérieux l'avait convaincu que le mieux serait peut-être de couper le mal dans sa racine et de proposer une transaction à ce prétendant nouveau. C'était là, le docteur Sarrasin en conviendrait, un conseil essentiellement désintéressé et que bien peu de solicitors eussent donné à la place de Mr. Sharp ! Mais il mettait son amour- propre à régler rapidement cette affaire, qu'il considérait avec des yeux presque paternels.

Le docteur Sarrasin écoutait ces conseils et les trouvait relativement assez sages. Il s'était si bien habitué depuis quelques jours à l'idée de réaliser immédiatement son rêve scientifique, qu'il subordonnait tout à ce projet. Attendre dix ans ou seulement un an avant de pouvoir l'exécuter aurait été maintenant pour lui une cruelle déception. Peu familier d'ailleurs avec les questions légales et financières, et sans être dupe des belles paroles de maître Sharp, il aurait fait bon marché de ses droits pour une bonne somme payée comptant qui lui permît de passer de la théorie à la pratique.