Dès qu'il eut déposé le noyé sur une des couchettes du tôt, il le dépouilla de ses vêtements, et, ayant retiré de l'un des coffres quelques morceaux de laine, se mit en devoir de le frictionner, énergiquement. M. Jaeger ne tarda pas à ouvrir les yeux et à revenir au sentiment du réel. L'immersion n'avait pas été longue, en somme, et il était à espérer qu'elle n'aurait pas de suites fâcheuses.
«Eh! Eh! monsieur Jaeger, s'écria Ilia Brusch, dès qu'il vit son malade reprendre connaissance, vous vous y entendez pour les plongeons!
M. Jaeger sourit faiblement sans répondre.
--Ça ne sera rien, poursuivait Ilia Brusch, en continuant ses énergiques frictions. Rien de meilleur pour la santé qu'un bain au mois d'août!
--Merci, monsieur Brusch, balbutia Karl Dragoch.
--Il n'y a vraiment pas de quoi, répliqua gaiement le pêcheur. C'est à moi de vous remercier, monsieur Jaeger, puisque vous m'avez donné l'occasion d'un excellent bain.
Les forces de Karl Dragoch revenaient à vue d'oeil. Un bon coup d'eau-de-vie, et il n'y paraîtrait plus. Malheureusement, Ilia Brusch, plus ému qu'il ne voulait le paraître, bouleversa en vain tous ses coffres. La provision d'alcool était épuisée, et il n'en restait pas une goutte à bord de la barge.
--Voilà qui est vexant! s'écria Ilia Brusch. Pas une goutte de schnaps dans notre cambuse!
--Peu importe, monsieur Brusch, affirma Karl Dragoch, d'une voix faible. Je m'en passerai fort bien, je vous assure.
Karl Dragoch grelottait, cependant, en dépit de ses assurances, et un cordial ne lui eût certes pas été inutile.
--C'est ce qui vous trompe, répondit Ilia Brusch, qui ne s'illusionnait pas sur l'état de son passager, vous ne vous en passerez pas, monsieur Jaeger. Laissez moi faire. Ce ne sera pas long.
En un tour de mains, le pêcheur eut échangé ses vêtements trempés contre des vêtements secs, puis quelques coups de godille amenèrent la barge à la rive gauche où elle fut amarrée solidement.
--Un peu de patience, monsieur Jaeger, dit Ilia Brusch en sautant à terre. Ici, je connais le pays, puisque voilà le confluent de l'Ipoly. A moins de quinze cents mètres, il y a un village, où je trouverai tout ce qu'il faut. Dans une demi-heure, je serai de retour.»
Cela dit, Ilia Brusch s'éloigna, sans attendre la réponse.
Quand il fut seul, Karl Dragoch se laissa retomber sur sa couchette. Il était plus brisé qu'il ne lui plaisait de le dire, et, pendant un instant, il ferma les yeux avec lassitude.
Mais la vie reprenait rapidement son cours; le sang battait dans ses artères. Bientôt il rouvrit les yeux et laissa errer autour de lui un regard plus ferme de minute eh minute.
La première chose qui sollicita ce regard encore vague, ce fut l'un des coffres, qu'Ilia Brusch, dans la précipitation de son départ, avait oublié de refermer. Bouleversé par la recherche infructueuse du pêcheur, l'intérieur de ce coffre n'offrait à la vue qu'un amas d'objets hétéroclites. Linge rude, grossiers vêtements, fortes chaussures y étaient entassés dans le plus grand désordre.
Pourquoi les yeux de Karl Dragoch se mirent-ils à briller tout à coup? Ce spectacle, pourtant peu passionnant, l'intéressait-il donc à ce point qu'il se soulevât sur le coude, après quelques secondes d'attention, de manière a voir plus commodément dans le coffre béant?
Certes, ce n'étaient ni les vêtements, ni le linge qui pouvaient exciter ainsi la curiosité de l'indiscret passager, mais, entre ces divers objets d'habillement, l'oeil fureteur du détective venait de découvrir un objet plus digne de retenir son attention.
Ce n'était pas autre chose qu'un portefeuille à demi entr'ouvert, et laissant fuir les nombreux papiers dont il était bourré. Un portefeuille! Des papiers! C'est-à-dire une réponse, sans doute, aux questions que Karl Dragoch se posait depuis quelques jours.
Le détective n'y put tenir. Après une courte hésitation, au risque de trahir, ce faisant, les lois de l'hospitalité, sa main s'allongea et plongea dans le coffre, d'où elle ressortit avec le portefeuille tentateur et son contenu, dont l'inventaire fut aussitôt commencé.