La combustion du gaz dura plusieurs minutes. Le ballon, s'amoindrissant de plus en plus, descendait toujours, mais ce n'était pas une chute! Le vent soufflait du nord-ouest et le rejeta sur Paris. Alors, aux environs de la maison n° 16, rue de Provence, il y avait d'immenses jardins. L'aéronaute pouvait y tomber sans danger. Mais, fatalité! Le ballon et la nacelle portent sur le toit de la maison! Le choc fut léger. «À moi!» crie l'infortunée. J'arrivais dans la rue à ce moment. La nacelle glissa sur le toit, rencontra un crampon de fer. À cette secousse, Mme Blanchard fut lancée hors de sa nacelle et précipitée sur le pavé. Mme Blanchard se tua!»
Ces histoires me glaçaient d'horreur! L'inconnu était debout, tête nue, cheveux hérissés, yeux hagards!
Plus d'illusion possible! Je voyais enfin l'horrible vérité! J'avais affaire à un fou!
Il jeta le reste du lest, et nous dûmes être emportés au moins à neuf mille mètres de hauteur! Le sang me sortait par le nez et par la bouche!
«Qu'y a-t-il de plus beau que les martyrs de la science? s'écriait alors l'insensé. Ils sont canonisés par la postérité!»
Mais je n'entendais plus. Le fou regarda autour de lui et s'agenouilla à mon oreille:
«Et la catastrophe de Zambecarri, l'avez-vous oubliée? Écoutez. Le 7 octobre 1804, le temps parut se lever un peu. Les jours précédents, le vent et la pluie n'avaient pas cessé, mais l'ascension annoncée par Zambecarri ne pouvait se remettre. Ses ennemis le bafouaient déjà. Il fallait partir pour sauver de la risée publique la science et lui. C'était à Bologne. Personne ne l'aida au remplissage de son ballon.
«Ce fut à minuit qu'il s'enleva, accompagné d'Andréoli et de Grossetti. Le ballon monta lentement, car il avait été troué par la pluie, et le gaz fusait. Les trois intrépides voyageurs ne pouvaient observer l'état du baromètre qu'à l'aide d'une lanterne sourde. Zambecarri n'avait pas mangé depuis vingt-quatre heures. Grossetti était aussi à jeun.
«--Mes amis, dit Zambecarri, le froid me saisit, je suis épuisé. Je vais mourir!»
«Il tomba inanimé dans la galerie. Il en fut de même de Grossetti. Andréoli seul restait éveillé. Après de longs efforts, il parvint à secouer Zambecarri de son engourdissement.
«--Qu'y a-t-il de nouveau? Où allons-nous? D'où vient le vent? Quelle heure est-il?
«--Il est deux heures!
«--Où est la boussole?
«--Renversée!
«--Grand Dieu! la bougie de la lanterne s'éteint!
«--Elle ne peut plus brûler dans cet air raréfié,» dit Zambecarri!
«La lune n'était pas levée, et l'atmosphère était plongée dans une ténébreuse horreur.
«--J'ai froid, j'ai froid! Andréoli. Que faire?»
«Les malheureux descendirent lentement à travers une couche de nuages blanchâtres.
«--Chut! dit Andréoli. Entends-tu?
«--Quoi? répondit Zambecarri.
«--Un bruit singulier!
«--Tu te trompes!
«--Non!»
«Voyez-vous ces voyageurs au milieu de la nuit, écoutant ce bruit incompréhensible! Vont-ils se heurter contre une tour? Vont-ils être précipités sur des toits?«
«--Entends-tu? On dirait le bruit de la mer!
«--Impossible!
«--C'est le mugissement des vagues!
«--C'est vrai!
«--De la lumière! de la lumière!»
«Après cinq tentatives infructueuses, Andréoli en obtint. Il était trois heures. Le bruit des vagues se fit entendre avec violence. Ils touchaient presque à la surface de la mer!
«--Nous sommes perdus! cria Zambecarri, et il se saisit d'un gros sac de lest.
«--À nous!» cria Andréoli.
«La nacelle touchait l'eau, et les flots leur couvraient la poitrine!
«--À la mer les instruments, les vêtements, l'argent!»
«Les aéronautes se dépouillèrent entièrement. Le ballon délesté s'enleva avec une rapidité effroyable. Zambecarri fut pris d'un vomissement considérable. Grossetti saigna abondamment. Les malheureux ne pouvaient parler, tant leur respiration était courte. Le froid les saisit, et en un moment ils furent couverts d'une couche de glace. La lune leur parut rouge comme du sang.
«Après avoir parcouru ces hautes régions pendant une demi-heure, la machine retomba dans la mer.