Il était quatre heures du matin. Les naufragés avaient la moitié du corps dans l'eau, et le ballon, faisant voile, les traîna pendant plusieurs heures.
«Au point du jour, ils se trouvèrent vis-à-vis de Pesaro, à quatre milles de la côte. Ils y allaient aborder, quand un coup de vent les rejeta en pleine mer.
«Ils étaient perdus! Les barques épouvantées fuyaient à leur approche!... Heureusement, un navigateur plus instruit les accosta, les hissa à bord, et ils débarquèrent à Ferrada.
«Voyage effrayant, n'est-ce pas? Mais Zambecarri était un homme énergique et brave. À peine remis de ses souffrances, il recommença ses ascensions. Pendant l'une d'elles, il se heurta contre un arbre, sa lampe à esprit-de-vin se répandit sur ses vêtements; il fut couvert de feu, et sa machine commençait à s'embraser, quand il put redescendre à demi brûlé!
«Enfin, le 21 septembre 1812, il fit une autre ascension à Bologne. Son ballon s'accrocha à un arbre, et sa lampe y mit encore le feu. Zambecarri tomba et se tua!
«Et en présence de ces faits, nous hésiterions encore! Non! Plus nous irons haut, plus la mort sera glorieuse!»
Le ballon entièrement délesté de tous les objets qu'il contenait, nous fûmes emportés à des hauteurs inappréciables! L'aérostat vibrait dans l'atmosphère. Le moindre bruit faisait éclater les voûtes célestes. Notre globe, le seul objet qui frappât ma vue dans l'immensité, semblait prêt à s'anéantir, et, au-dessus de nous, les hauteurs du ciel étoile se perdaient dans les ténèbres profondes!
Je vis l'individu se dresser devant moi!
«Voici l'heure! me dit-il. Il faut mourir! Nous sommes rejetés par les hommes! Ils nous méprisent! Écrasons-les!
--Grâce! fis-je.
--Coupons ces cordes! Que cette nacelle soit abandonnée dans l'espace! La force attractive changera de direction, et nous aborderons au soleil!»
Le désespoir me galvanisa. Je me précipitai sur le fou, nous nous prîmes corps à corps, et une lutte effroyable se passa! Mais je fus terrassé, et tandis qu'il me maintenait sous son genou, le fou coupait les cordes de la nacelle.
«Une!... fit-il.
--Mon Dieu!...
--Deux!... trois!...»
Je fis un effort surhumain, je me redressai et repoussai violemment l'insensé!
«Quatre!» dit-il.
La nacelle tomba, mais, instinctivement, je me cramponnai aux cordages et je me hissai dans les mailles du filet.
Le fou avait disparu dans l'espace!
Le ballon fût enlevé à une hauteur incommensurable! Un horrible craquement se fit entendre!... Le gaz, trop dilaté, avait crevé l'enveloppe! Je fermai les yeux ...
Quelques instants après, une chaleur humide me ranima. J'étais au milieu de nuages en feu. Le ballon tournoyait avec un vertige effrayant. Pris par le vent, il faisait cent lieues à l'heure dans sa course horizontale, et les éclairs se croisaient autour de lui.
Cependant, ma chute n'était pas très-rapide. Quand je rouvris les yeux, j'aperçus la campagne. J'étais à deux milles de la mer, et l'ouragan m'y poussait avec force, quand une secousse brusque me fit lâcher prise. Mes mains s'ouvrirent, une corde glissa rapidement entre mes doigts, et je me trouvai à terre!
C'était la corde de l'ancre, qui, balayant la surface du sol, s'était prise dans une crevasse, et mon ballon, délesté une dernière fois, alla se perdre au delà des mers.
Quand je revins à moi, j'étais couché chez un paysan, à Harderwick, petite ville de la Gueldre, à quinze lieues d'Amsterdam, sur les bords du Zuyderzée.
Un miracle m'avait sauvé la vie, mais mon voyage n'avait été qu'une série d'imprudences, faites par un fou, auxquelles je n'avais pu parer!
Que ce terrible récit, en instruisant ceux qui me lisent, ne décourage donc pas les explorateurs des routes de l'air!
[Illustration]
UN HIVERNAGE DANS LES GLACES
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I
LE PAVILLON NOIR
Le curé de la vieille église de Dunkerque se réveilla à cinq heures, le 12 mai 18.., pour dire, suivant son habitude, la première basse messe à laquelle assistaient quelques pieux pêcheurs.
Vêtu de ses habits sacerdotaux, il allait se rendre à l'autel, quand un homme entra dans la sacristie, joyeux et effaré à la fois.