Jules Verne

Mais, à présent, le burg était délaissé, et le baron de Gortz n'y était pas rentré depuis qu'il avait fui Naples. On ignorait même ce qu'il était devenu, et il était possible qu'il eût mis fin à son existence, après la mort de la grande artiste.

Franz s'égarait ainsi à travers le champ des hypothèses, ne sachant à laquelle s'arrêter.

D'autre part, l'aventure du forestier Nie Deck ne laissait pas de le préoccuper dans une certaine mesure, et il lui aurait plu d'en découvrir le mystère, ne fût-ce que pour rassurer la population de Werst.

Aussi, comme le jeune comte ne mettait pas en doute que des malfaiteurs eussent pris le château pour refuge, il résolut de tenir la promesse qu'il avait faite de déjouer les manoeuvres de ces faux revenants, en prévenant la police de Karlsburg.

Toutefois, pour être en mesure d'agir, Franz voulait avoir des détails plus circonstanciés sur cette affaire. Le mieux était de s'adresser au jeune forestier en personne. C'est pourquoi, vers trois heures de l'après-midi, avant de retourner au _Roi Mathias_, il se présenta à la maison du biró.

Maître Koltz se montra très honoré de le recevoir un gentilhomme tel que M. le comte de Télek... ce descendant d'une noble famille de race roumaine... auquel le village de Werst serait redevable d'avoir retrouvé le calme... et aussi la prospérité... puisque les touristes reviendraient visiter le pays... et acquitter les droits de péage, saris avoir rien à craindre des génies malfaisants du château des Carpathes... etc.

Franz de Télek remercia maître Koltz de ses compliments, et demanda s'il n'y aurait aucun inconvénient à ce qu'il fût introduit près de Nic Deck.

« Il n'y en a aucun, monsieur le comte, répondit le biró. Ce brave garçon va aussi bien que possible, et il ne tardera pas à reprendre son service. »

Puis, se retournant :

« N'est-il pas vrai, Miriota ? ajouta-t-il, en interpellant sa fille, qui venait d'entrer dans la salle.

-- Dieu veuille que cela soit, mon père ! » répondit Miriota d'une voix émue.

Franz fut charmé du gracieux salut que lui adressa la jeune fille. Et, la voyant encore inquiète de l'état de son fiancé, il se hâta de lui demander quelques explications à ce sujet.

« D'après ce que. j'ai entendu, dit-il, Nic Deck n'a pas été gravement atteint...

-- Non, monsieur le comte, répondit Miriota, et que le Ciel en soit béni !

-- Vous avez un bon médecin à Werst ?

-- Hum ! fit maître Koltz, d'un ton qui était peu flatteur pour l'ancien infirmier de la quarantaine. -- Nous avons le docteur Patak, répondit Miriota.

-- Celui-là même qui accompagnait Nic Deck au château des Carpathes ?

-- Oui, monsieur le comte.

-- Mademoiselle Miriota, dit alors Franz, je désirerais, dans son intérêt, voir votre fiancé, et obtenir des détails plus précis sur cette aventure. -- Il s'empressera de vous les donner, même au prix peu de fatigue...

-- Oh ! je n'abuserai pas, mademoiselle Miriota, et, ne ferai rien qui soit susceptible de nuire à Nic Deck. -- je le sais, monsieur le comte.

-- Quand votre mariage doit-il avoir lieu ?...

-- Dans une quinzaine de jours, répondit le biró.

-- Alors j'aurai le plaisir d'y assister, si maître Koltz veut bien m'inviter toutefois...

-- Monsieur le comte, un tel honneur...

-- Dans une quinzaine de jours, c'est convenu, et je suis certain que Nic Deck sera guéri, dès qu'il aura pu se permettre un tour de promenade avec sajolie fiancée. - Dieu le protège, monsieur le comte ! » répondit en rougissant la jeune fille.

Et, en ce moment, sa charmante figure exprima une anxiété si visible, que Franz lui en demanda la cause : « Oui ! que Dieu le protège, répondit Miriota, car, en essayant de pénétrer dans le château malgré leur défense, Nic a bravé les génies malfaisants !... Et qui sait s'ils ne s'acharneront pas à le tourmenter toute sa vie...

-- Oh ! pour cela, mademoiselle Miriota, répondit Franz, nous y mettrons bon ordre, je vous le promets. -- Il n'arrivera rien à mon pauvre Nic ?...

-- Rien, et grâce aux agents de la police, on pourra dans quelques jours parcourir l'enceinte du burg avec autant de sécurité que la place de Werst ! »

Le jeune comte, jugeant inopportun de discuter cette question du surnaturel devant des esprits si prévenus, pria Miriota de le conduire à la chambre du forestier.