Du reste, à quoi me servirait de séjourner à Werst ?...
-- Croyez que notre village vaut la peine d'arrêter quelque temps un touriste ! fit observer maître Koltz.
-- Cependant, il paraît être peu fréquenté, répliqua le jeune comte, et c'est probablement parce que ses environs n'offrent rien de curieux...
-- En effet, rien de curieux... dit le biró, en songeant au burg.
-- Non..... rien de curieux... répéta le magister.
-- Oh !... Oh !... » fit le berger Frik, auquel cette exclamation échappa involontairement.
Quels regards lui jetèrent maître Koltz et les autres et plus particulièrement l'aubergiste ! Était-il donc urgent de mettre un étranger au courant des secrets du pays ? Lui dévoiler ce qui se passait sur le plateau d'Orgall, signaler à son attention le château des Carpathes, n'était-ce pas vouloir l'effrayer, lui donner l'envie de quitter le village ? Et à l'avenir, quels voyageurs voudraient suivre la route du col de Vulkan pour pénétrer en Transylvanie ?
Vraiment, ce pâtour ne montrait pas plus d'intelligence que le dernier de ses moutons.
« Mais tais-toi donc, imbécile, tais-toi donc ! » lui dit à mi-voix maître Koltz.
Toutefois, la curiosité du jeune comte ayant été éveillée, il s'adressa directement à Frik, lui demanda ce que signifiait ces oh ! oh ! interjectifs.
Le berger n'était point homme à reculer, et, au fond, peut-être pensait-il que Franz de Télek pourrait donner un bon conseil dont le village ferait son profit.
« J'ai dit : Oh !... Oh !... monsieur le comte, répliquat-il, et je ne m'en dédis point.
-- Y a-t-il dans les environs de Werst quelque merveille à visiter ? reprit le jeune comte.
-- Quelque merveille... répliqua maître Koltz.
-- Non !... non !... » s'écrièrent les assistants.
Et ils s'effrayaient déjà à la pensée qu'une seconde tentative faite pour pénétrer dans le burg ne manquerait pas d'attirer de nouveaux malheurs.
Franz de Télek, non sans un peu de surprise, observa ces braves gens, dont les figures exprimaient diversement la terreur, mais d'une manière très significative.
« Qu'il y a-t-il donc ?... demanda-t-il.
-- Ce qu'il y a, mon maître ? répondit Rotzko. Eh bien, paraît-il, il y a le château des Carpathes.
-- Le château des Carpathes ?...
-- Oui !... c'est le nom que ce berger vient de me glisser dans l'oreille. »
Et, ce disant, Rotzko montrait Frik, qui secouait la tête sans trop oser regarder le biró.
Maintenant une brèche était faite au mur de la vie privée du superstitieux village, et toute son histoire ne tarda pas à passer par cette brèche.
Maître Koltz, qui en avait pris son parti, voulut lui-même faire connaître la situation au jeune comte, et il lui raconta tout ce qui concernait le château des Carpathes.
Il va sans dire que Franz de Télek ne put cacher l'étonnement que ce récit lui fit éprouver et les sentiments qu'il lui suggéra. Quoique médiocrement instruit des choses de science, à l'exemple des jeunes gens de sa condition qui vivaient en leurs châteaux au fond de campagnes valaques, c'était un homme de bon sens. Aussi, croyait-il peu aux apparitions, et se riait-il volontiers des légendes. Un burg hanté par des esprits, cela était bien pour exciter son incrédulité. A son avis, dans ce que venait de lui raconter maître Koltz, il n'y avait rien de merveilleux, mais uniquement quelques faits plus ou moins établis, auxquels les gens de Werst attribuaient une origine surnaturelle. La fumée du donjon, la cloche sonnant à toute volée, cela pouvait s'expliquer très simplement. Quant aux fulgurations et aux mugissements sortis de l'enceinte, c'était pur effet d'hallucination.
Franz de Télek ne se gêna point pour le dire et en plaisanter, au grand scandale de ses auditeurs.
« Mais, monsieur le comte, lui fit observer maître Koltz, il y a encore autre chose.
-- Autre chose ?...
-- Oui ! Il est impossible de pénétrer à l'intérieur du château des Carpathes.
-- Vraiment ?...
-- Notre forestier et notre docteur ont voulu en franchir les murailles, il y a quelques jours, par dévouement pour le village, et ils ont failli payer cher leur tentative.