Jules Verne

Toute défaillante, c'est à peine si elle parvenait à marcher. Son père dut la ramener au logis. Là, ses larmes redoublèrent... Elle appelait Nic d'une voix déchirante... Elle voulait partir pour le rejoindre... Cela faisait pitié, et il y avait lieu de craindre qu'elle tombât malade.

Cependant il était nécessaire et urgent de prendre un parti. Il fallait aller au secours du forestier et du docteur sans perdre un instant. Qu'il y eût à courir des dangers, en s'exposant aux représailles des êtres quelconques, humains ou autres, qui occupaient le burg, peu importait. L'essentiel était de savoir ce qu'étaient devenus Nic Deck et le docteur. Ce devoir s'imposait aussi bien à leurs amis qu'aux autres habitants du village. Les plus braves ne refuseraient pas de se jeter au milieu des forêts du Plesa, afin de remonter jusqu'au château des Carpathes.

Cela décidé, après maintes discussions et démarches, les plus braves se trouvèrent au nombre de trois : ce furent maître Koltz, le berger Frik et l'aubergiste Jonas, -- pas un de plus. Quant au magister Hermod, il s'était soudainement ressenti d'une douleur de goutte à la jambe, et il avait dû s'allonger sur deux chaises dans la classe de son école.

Vers neuf heures, maître Koltz et ses compagnons, bien armés par prudence, prirent la route du col de Vulkan., Puis, à l'endroit même où Nic Deck l'avait quittée, ils l'abandonnèrent, afin de s'enfoncer sous l'épais massif.

Ils se disaient, non sans raison, que, si le jeune forestier et le docteur étaient en marche pour revenir au village, ils prendraient le chemin qu'ils avaient dû suivre à travers le Plesa. Or, il serait facile de reconnaître leurs traces, et c'est ce qui fut constaté, aussitôt que tous trois eurent franchi la lisière d'arbres.

Nous les laisserons aller pour dire quel revirement se fit à Werst, dès qu'on les eut perdus de vue. S'il avait paru indispensable que des gens de bonne volonté se portassent au-devant de Nic Deck et de Patak, on trouvait que c'était d'une imprudence sans nom maintenant qu'ils étaient partis. Le beau résultat, lorsque la première catastrophe serait doublée d'une seconde ! Que le forestier et le docteur eussent été victimes de leur tentative, personne n'en doutait plus et, alors, à quoi servait que maître Koltz, Frik et Jonas s'exposassent à être victimes de leur dévouement ? On serait bien avancé, lorsque la jeune fille aurait à pleurer son père comme elle pleurait son fiancé, lorsque les amis du pâtour et de l'aubergiste auraient à se reprocher leur perte !

La désolation devint générale à Werst, et il n'y avait pas apparence qu'elle dût cesser de sitôt. En admettant qu'il ne leur arrivât pas malheur, on ne pouvait compter sur le retour de maître Koltz et de ses deux compagnons avant que la nuit eût enveloppé les hauteurs environnantes.

Quelle fut donc la surprise, lorsqu'ils furent aperçus vers deux heures de l'après-midi, dans le lointain de la route ! Avec quel empressement, Miriota, qui fut immédiatement prévenue, courut à leur rencontre.

Ils n'étaient pas trois, ils étaient quatre, et le quatrième se montra sous les traits du docteur.

« Nic... mon pauvre Nic !... s'écria la jeune fille. Nic n'est-il pas là ?... »

Si... Nic Deck était là, étendu sur une civière de branchages que Jonas et le berger portaient péniblement.

Miriota se précipita vers son fiancé, elle se pencha sur lui, elle le serra entre ses bras.

« Il est mort... s'écriait-elle, il est mort !

-- Non... il n'est pas mort, répondit le docteur Patak, niais il mériterait de -l'être... et moi aussi ! » La vérité est que le jeune forestier avait perdu connaissance. Les membres raidis, la figure exsangue, sa respiration lui soulevait à peine la poitrine. Quant au docteur, si sa face n'était pas décolorée comme celle de son compagnon, cela tenait à ce que la marche lui avait rendu sa teinte habituelle de brique rougeâtre.

La voix de Miriota, si tendre, si déchirante, n'eut pas le pouvoir d'arracher Nic Deck de cette torpeur où il était plongé. Lorsqu'il eut été ramené au village et déposé dans la chambre de maître Koltz, il n'avait pas encore prononcé une seule parole.