Quelques instants après, cependant, ses yeux se rouvrirent, et, dès qu'il aperçut la jeune fille penchée à son chevet, un sourire erra sur ses lèvres ; mais quand il essaya de se relever, il ne put y parvenir. Une partie de son corps était paralysée, comme s'il eût été frappé d'hémiplégie. Toutefois, voulant rassurer Miriota, il lui dit, d'une voix bien faible, il est vrai :
« Ce ne sera rien... ce ne sera rien !
-- Nic... mon pauvre Nic ! répétait la jeune fille.
-- Un peu de fatigue seulement, chère Miriota, et un peu d'émotion... Cela se passera vite... avec tes soins... » Mais il fallait du calme et du repos au malade. Aussi maître Koltz quitta-t-il la chambre, laissant Miriota près du jeune forestier, qui n'eût pu souhaiter une garde-malade plus diligente, et ne tarda pas à s'assoupir.
Pendant ce temps, l'aubergiste Jonas racontait à un nombreux auditoire et d'une voix forte, afin de bien être entendu de tous, ce qui s'était passé depuis leur départ.
Maître Koltz, le berger et lui, après avoir retrouvé sous bois le sentier que Nic Deck et le docteur s'étaient frayé, avaient pris direction vers le château des Carpathes. Or, depuis deux heures, ils gravissaient les pentes du Plesa, et la lisière de la forêt n'était plus qu'à un demi-mille en avant, lorsque deux hommes apparurent. C'étaient le docteur et le forestier, l'un, auquel ses jambes refusaient tout service, l'autre, à bout de forces et qui venait de tomber au pied d'un arbre :
Courir au docteur, l'interroger, mais sans pouvoir en obtenir un seul mot, car il était trop hébété pour répondre, fabriquer une civière avec des branches, y coucher Nic Deck, remettre Patak sur ses pieds, c'est ce qui fut accompli en un tour de main. Puis, maître Koltz et le berger, que relayait parfois Jonas, avaient repris la route de Werst.
Quant à dire pourquoi Nic Deck se trouvait dans un pareil état, et s'il avait exploré les ruines du burg, l'aubergiste ne le savait pas plus que maître Koltz, pas plus que le berger Frik, le docteur n'ayant pas encore suffisamment recouvré ses esprits pour satisfaire leur curiosité.
Mais si Patak n'avait pas jusqu'alors parlé, il fallait qu'il parlât maintenant. Que diable ! il était en sûreté dans le village, entouré de ses amis, au milieu de ses clients !Il n'avait plus rien à redouter des êtres de là-bas ! Même s'ils lui avaient arraché le serment de se taire, de ne rien raconter de ce qu'il avait vu au château des Carpathes, l'intérêt public lui commandait de manquer à son serment.
« Voyons, remettez-vous, docteur, lui dit maître Koltz, et rappelez vos souvenirs !
-- Vous voulez... que je parle...
-- Au nom des habitants de Werst, et pour assurer la sécurité du village, je vous l'ordonne ! »
Un bon verre de rakiou, apporté par Jonas, eut pour effet de rendre au docteur l'usage de sa langue, et ce fut par phrases entrecoupées qu'il s'exprima en ces termes :
, Nous sommes partis tous les deux... Nic et moi... Des fous... des fous !... Il a fallu presque une journée pour traverser ces forêts maudites... Parvenus au soir seulement devant le burg J'en tremble encore j'en tremblerai toute ma vie ! Nic voulait y entrer Oui ! il voulait passer la nuit dans le donjon... autant dire la chambre à coucher de Belzébuth !... »
Le docteur Patak disait ces choses d'une voix si caverneuse, que l'on frémissait rien qu'à l'entendre. » je n'ai pas consenti... reprit-il, non... je n'ai pas consenti !... Et que serait-il arrivé... si j'eusse cédé aux désirs de Nic Deck ?... Les cheveux me dressent d'y penser ! »
Et si les cheveux du docteur se dressaient sur son crâne, c'est que sa main s'y égarait machinalement.
« Nic s'est donc résigné à camper sur le plateau d'Orgall... Quelle nuit... mes amis, quelle nuit !... Essayez donc de reposer, lorsque les esprits ne vous permettent pas de dormir une heure... non, pas même une heure !... Tout à coup, voilà que des monstres de feu apparaissent entre les nuages, de véritables balauris !... Ils se précipitent sur le plateau pour nous dévorer...