Jules Verne

--Patience, Dick. Dans peu de temps nous les rattraperons et nous les dépasserons même, s'ils continuent de suivre cette route; nous marchons avec une rapidité de vingt milles à l'heure, et il n'y a pas de chevaux qui puissent soutenir un pareil train. »

Kennedy reprit son observation, et, quelques minutes après, il dit:

« Ce sont des Arabes lancés à toute vitesse. Je les distingue parfaitement. Ils sont une cinquantaine. Je vois leurs burnous qui se gonflent contre le vent. C'est un exercice de cavalerie; leur chef les précède à cent pas, et ils se précipitent sur ses traces.

--Quels qu'ils soient, Dick, ils ne sont pas à redouter, et, si cela est nécessaire, je m'élèverai.

--Attends! attends encore, Samuel!

--C'est singulier, ajouta Dick après un nouvel examen, il y a quelque chose dont je ne me rends pas compte; à leurs efforts et à l'irrégularité de leur ligne, ces Arabes ont plutôt l'air de poursuivre que de suivre.

--En es-tu certain, Dick,

--Evidemment. Je ne me trompe pas! C'est une chasse, mais une chasse à l'homme! Ce n'est point un chef qui les précède, mais un fugitif.

--Un fugitif! dit Samuel avec émotion.

--Oui!

--Ne le perdons pas de vue et attendons. »

Trois ou quatre milles furent promptement gagnés sur ces cavaliers qui filaient cependant avec une prodigieuse vélocité.

« Samuel! Samuel! s'écria Kennedy d'une voix tremblante.

--Qu'as-tu, Dick?

--Est-ce une hallucination? est-ce possible?

--Que veux-tu dire?

--Attends.

Et le chasseur essuya rapidement les verres de la lunette et se prit à regarder.

« Eh bien? fit le docteur.

--C'est lui, Samuel!

--Lui! » s'écria ce dernier.

« Lui » disait tout! Il n'y avait pas besoin de le nommer!

« C'est lui à cheval! à cent pas à peine de ses ennemis! il fuit!

--C'est bien Joe! dit le docteur en palissant.

--Il ne peut nous voir dans sa fuite!

--Il nous verra, répondit Fergusson en abaissant la flamme de son chalumeau.

--Mais comment?

--Dans cinq minutes nous serons à cinquante pieds du sol; dans quinze, nous serons au-dessus de lui.

--Il faut le prévenir par un coup de fusil!

--Non! il ne peut revenir sur ses pas, il est coupé.

--Que faire alors?

--Attendre.

--Attendre! Et ces Arabes?

--Nous les atteindrons! Nous les dépasserons! Nous ne sommes pas éloignés de deux milles, et pourvu que le cheval de Joe tienne encore

--Grand Dieu! fit Kennedy.

--Qu'y-a-t-il? »

Kennedy avait poussé un cri de désespoir en voyant Joe précipité à terre. Son cheval, évidemment rendu, épuisé, venait de s'abattre.

« Il nous a vus, s'écria le docteur; en se relevant il nous a fait signe!

--Mais les Arabes vont l'atteindre! qu'attend-il! Ah! le courageux garçon! Hourra! » fit le chasseur qui ne se contenait plus.

Joe, immédiatement relevé après sa chute, à l'instant où l'un des plus rapides cavaliers se précipitait sur lui, bondissait comme une panthère, l'évitait par un écart, se jetait en croupe, saisissait l'Arabe à la gorge, de ses mains nerveuses, de ses doigts de fer, il l'étranglait, le renversait sur le sable, et continuait sa course effrayante.

Un immense cri des Arabes s'éleva dans l'air; mais, tout entiers à leur poursuite, ils n'avaient pas vu le Victoria à cinq cents pas derrière eux, et à trente pieds du sol à peine; eux-mêmes, ils n'étaient pas à vingt longueurs de cheval du fugitif.

L'un d'eux se rapprocha sensiblement de Joe, et il allait le percer de sa lance, quand Kennedy, l'œil fixe, la main ferme, l'arrêta net d'une balle et le précipita à terre.

Joe ne se retourna pas même au bruit. Une partie de la troupe suspendit sa course, et tomba la face dans la poussière à la vue du Victoria; l'autre continua sa poursuite.

« Mais que fait Joe? s'écria Kennedy, il ne s'arrête pas!

--Il fait mieux que cela, Dick; je l'ai compris! il se maintient dans la direction de l'aérostat. Il compte sur notre intelligence! Ah! le brave garçon! Nous l'enlèverons à la barbe de ces Arabes! Nous ne sommes plus qu'à deux cents pas.