inquiet de cette direction persistante du vent. Il se sentait rejeté vers l'est, repoussé dans le centre de l'Afrique, vers d'interminables déserts.
« Il faut absolument nous arrêter, dit-il, et même prendre terre; dans l'intérêt de Joe surtout, nous devons revenir sur le lac; mais, auparavant, tâchons de trouver un courant opposé. »
Pendant plus d'une heure, il chercha à différentes zones. Le Victoria dérivait toujours sur la terre ferme; mais, heureusement, à mille pieds un souffle très violent le ramena dans le nord-ouest.
Il n'était pas possible que Joe fût retenu sur une des îles du lac; il et certainement trouvé moyen de manifester sa présence; peut-être l'avait-on entraîné sur terre. Ce fut ainsi que raisonna le docteur, quand il revit la rive septentrionale du Tchad.
Quant à penser que Joe se fût noyé, c'était inadmissible. Il y eut bien une idée horrible qui traversa l'esprit de Fergusson et de Kennedy: les caïmans sont nombreux dans ces parages! Mais ni l'un ni l'autre n'eut le courage de formuler cette appréhension. Cependant elle vint si manifestement à leur pensée, que le docteur dit sans autre préambule:
« Les crocodiles ne se rencontrent que sur les rives des îles ou du lac; Joe aura assez d'adresse pour les éviter; d'ailleurs, ils sont peu dangereux, et les Africains se baignent impunément sans craindre leurs attaques »
Kennedy ne répondit pas; il préférait se taire à discuter cette terrible possibilité.
Le docteur signala la ville de Lari vers les cinq heures du soir. Les habitants travaillaient à la récolte du coton devant des cabanes de roseaux tressés, au milieu d'enclos propres et soigneusement entretenus.
Cette réunion d'une cinquantaine de cases occupait une légère dépression de terrain dans une vallée étendue entre de basses montagnes. La violence du vent portait plus avant qu'il ne convenait au docteur; mais il changea une seconde fois et le ramena précisément à son point de départ, dans cette sorte d'île ferme où il avait passé la nuit précédente. L'ancre, au lieu de rencontrer les branches de l'arbre, se prit dans des paquets de roseaux mêlés à la vase épaisse du marais et d'une résistance considérable
Le docteur eut beaucoup de peine à contenir l'aérostat; mais enfin le vent tomba avec la nuit, et les deux amis veillèrent ensemble, presque désespérés.
CHAPITRE XXXIV
L'ouragan.--Départ forcé.--Perte d'une ancre.--Tristes réflexions.--Résolution prise.--La trombe.--La caravane engloutie.--Vent contraire et favorable.--Retour au sud.--Kennedy à son poste.
A trois heures du matin, le vent faisait rage, et soufflait avec une violence telle que le Victoria ne pouvait demeurer près de terre sans danger; les roseaux froissaient son enveloppe, qu'ils menaçaient de déchirer.
« Il faut partir, Dick, fit le docteur; nous ne pouvons rester dans cette situation.
--Mais Joe, Samuel?
--Je ne l'abandonne pas! non certes! et dut l'ouragan m'emporter à cent milles dans le nord, je reviendrai! Mais ici nous compromettons la sûreté de tous.
--Partir sans lui! s'écria l'Écossais avec l'accent d'une profonde douleur.
--Crois-tu donc, reprit Fergusson, que le cœur ne me saigne pas comme à toi? Est-ce que je n'obéis pas à une impérieuse nécessité?
--Je suis à tes ordres, répondit le chasseur. Partons. »
Mais le départ présentait de grandes difficultés. L'ancre, profondément engagée, résistait à tous les efforts, et le ballon, tirant en sens inverse, accroissait encore sa tenue. Kennedy ne put parvenir à l'arracher; d'ailleurs, dans la position actuelle, sa manœuvre devenait fort périlleuse, car le Victoria risquait de s'enlever avant qu'il ne l'eut rejoint.
Le docteur, ne voulant pas courir une pareille chance, fit rentrer l'Écossais dans la nacelle, et se résigna à couper la corde de l'ancre. Le Victoria fit un bond de trois cents pieds dans l'air, et prit directement la route du nord.
Fergusson ne pouvait qu'obéir à cette tourmente; il se croisa les bras et s'absorba dans ses tristes réflexions.