Jules Verne

Pendant le reste de la journée, le docteur attendit vainement un changement dans l'atmosphère. La température s'éleva et, sans les ombrages de l'oasis, elle eut été insoutenable. Le thermomètre marqua au soleil cent quarante-neuf degrés [50]. Une véritable pluie de feu traversait l'air. Ce fut la plus haute chaleur qui eut encore été observée.

Joe disposa comme la veille le bivouac du soir, et, pendant les quarts du docteur et de Kennedy, il ne se produisit aucun incident nouveau.

Mais, vers trois heures du matin, Joe veillant, la température s'abaissa subitement, le ciel se couvrit de nuages, et l'obscurité augmenta.

« Alerte! s'écria Joe en réveillant ses deux compagnons! alerte! voici le vent.

--Enfin! dit le docteur en considérant le ciel, c'est une tempête! Au Victoria! au Victoria! »

Il était temps d'y arriver. Le Victoria se courbait sous l'effort de l'ouragan et entraînait la nacelle qui rayait le sable. Si, par hasard, une partie du lest eut été précipitée à terre, le ballon serait parti, et tout espoir de le retrouver eut été à jamais perdu.

Mais le rapide Joe courut à toutes jambes et arrêta la nacelle, tandis que l'aérostat se couchait sur le sable au risque de se déchirer. Le docteur prit sa place habituelle, alluma son chalumeau, et jeta l'excès de poids.

Les voyageurs regardèrent une dernière fois les arbres de l'oasis qui pliaient sous la tempête, et bientôt, ramassant le vent d'est à deux cents pieds du sol, ils disparurent dans la nuit.

CHAPITRE XXIX

Symptômes de végétation.--Idée fantaisiste d'un auteur français.--Pays magnifique.--Royaume d'Adamova.--Les explorations de Speke et Burton reliées à celles de Barth.--Les monts Atlantika.--Le fleuve Benoué.--La ville d'Yola.--Le Bagélé.--Le mont Mendif.

Depuis le moment de leur départ, les voyageurs marchèrent avec une grande rapidité; il leur tardait de quitter ce désert qui avait failli leur être si funeste.

Vers neuf heures un quart du matin, quelques symptômes de végétation furent entrevus, herbes flottant sur cette mer de sable, et leur annonçant, comme à Christophe Colomb, la proximité de la terre; des pousses vertes pointaient timidement entre des cailloux qui allaient eux-mêmes redevenir les rochers de cet Océan.

Des collines encore peu élevées ondulaient à l'horizon; leur profil, estompé par la brume, se dessinait vaguement; la monotonie disparaissait. Le docteur saluait avec joie cette contrée nouvelle, et, comme un marin en vigie, il était sur le point de s'écrier:

« Terre! terre! »

Une heure plus tard, le continent s'étalait sous ses yeux, d'un aspect encore sauvage, mais moins plat, moins nu, quelques arbres se profilaient sur le ciel gris.

Nous sommes donc en pays civilisé? dit le chasseur.

--Civilisé? Monsieur Dick; c'est une manière de parler; on ne voit pas encore d'habitants.

--Ce ne sera pas long, répondit Fergusson, au train dont nous marchons.

--Est-ce que nous sommes toujours dans le pays des nègres, Monsieur Samuel?

--Toujours, Joe, en attendant le pays des Arabes.

--Des Arabes, Monsieur, de vrais Arabes, avec leurs chameaux?

--Non, sans chameaux; ces animaux sont rares, pour ne pas dire inconnus dans ces contrées; il faut remonter quelques degrés au nord pour les rencontrer.

--C'est fâcheux.

--Et pourquoi, Joe

--Parce que, si le vent devenait contraire, ils pourraient nous servir.

--Comment?

--Monsieur, c'est une idée qui me vient: on pourrait les atteler à la nacelle et se faire remorquer par eux. Qu'en dites-vous?

--Mon pauvre Joe, cette idée, un autre l'a eue avant toi; elle a été exploitée par un très spirituel auteur français [M. Méry] ... dans un roman, il est vrai. Des voyageurs se font traîner en ballon par des chameaux; arrive un lion qui dévore les chameaux, avale la remorque, et traîne à leur place; ainsi de suite. Tu vois que tout ceci est de la haute fantaisie, et n'a rien de commun avec notre genre de locomotion.

Joe, un peu humilié à la pensée que son idée avait déjà servi, chercha quel animal aurait pu dévorer le lion; mais il ne trouva pas et se remit à examiner le pays.