»
Dick se précipita sur sa carabine, et Joe s'empara de l'un des fusils. Ils s'avancèrent rapidement jusqu'aux arbres et pénétrèrent sous cette fraîche verdure qui leur annonçait des sources abondantes; ils ne prirent pas garde à de larges piétinements, à des traces fraîches qui marquaient çà et là le sol humide.
Soudain, un rugissement retentit à vingt pas d'eux.
« Le rugissement d'un lion! dit Joe.
--Tant mieux! répliqua le chasseur exaspéré, nous nous battrons! On est fort quand il ne s'agit que de se battre.
--De la prudence, Monsieur Dick, de la prudence! de la vie de l'un dépend la vie de tous. »
Mais Kennedy ne l'écoutait pas; il s'avançait, l'œil flamboyant, la carabine armée, terrible dans son audace. Sous un palmier, un énorme lion à crinière noire se tenait dans une posture d'attaque. A peine eut-il aperçu le chasseur qu'il bondit; mais il n'avait pas touché terre qu'une balle au cœur le foudroyait; il tomba mort.
« Hourra! hourra! » s'écria Joe.
Kennedy se précipita vers le puits, glissa sur les marches humides, et s'étala devant une source fraîche, dans laquelle il trempa ses lèvres avidement; Joe l'imita, et l'on n'entendit plus que ces clappements de langue des animaux qui se désaltèrent.
« Prenons garde, Monsieur Dick, dit Joe en respirant. N'abusons pas! »
Mais Dick, sans répondre, buvait toujours. Il plongeait sa tête et ses mains dans cette eau bienfaisante; il s'enivrait.
« Et monsieur Fergusson? » dit Joe.
Ce seul mot rappela Kennedy à lui-même! il remplit une bouteille qu'il avait apportée, et s'élança sur les marches du puits.
Mais quelle fut sa stupéfaction! Un corps opaque, énorme, en fermait l'ouverture. Joe, qui suivait Dick, dut reculer avec lui.
« Nous sommes enfermés!
--C'est impossible! qu'est-ce que cela veut dire?... »
Dick n'acheva pas; un rugissement terrible lui fit comprendre à quel nouvel ennemi il avait affaire.
« Un autre lion! s'écria Joe.
--Non pas, une lionne! Ah! maudite bête, attends, » dit le chasseur en rechargeant prestement sa carabine.
Un instant après, il faisait feu, mais l'animal avait disparu.
« En avant! s'écria-t-il.
--Non, Monsieur Dick, non, vous ne l'avez pas tuée du coup; son corps eut roulé jusqu'ici; elle est là prête à bondir sur le premier d'entre nous qui paraîtra, et celui-là est perdu!
--Mais que faire? Il faut sortir! Et Samuel qui nous attend!
--Attirons l'animal; prenez mon fusil, et passez-moi votre carabine
--Quel est ton projet?
--Vous allez voir. »
Joe, retirant sa veste de toile, la disposa au bout de l'arme et la présenta comme appât au-dessus de l'ouverture. La bête furieuse se précipita dessus; Kennedy l'attendait au passage, et d'une balle il lui fracassa l'épaule. La lionne rugissante roula sur l'escalier, renversant Joe. Celui-ci croyait déjà sentir les énormes pattes de l'animal s'abattre sur lui, quand une seconde détonation retentit, et le docteur Fergusson apparut à l'ouverture, son fusil à la main et fumant encore.
Joe se releva prestement, franchit le corps de la bête, et passa à son maître la bouteille pleine d'eau.
La porter à ses lèvres, la vider à demi fut pour Fergusson l'affaire d'un instant, et les trois voyageurs remercièrent du fond du cœur la Providence qui les avait si miraculeusement sauvés.
CHAPITRE XXVIII
Soirée délicieuse.--La cuisine de Joe.--Dissertation sur la viande crue.--Histoire de James Bruce.--Le bivouac.--Les rêves de Joe.--Le baromètre baisse.--Le baromètre remonte.--Préparatifs de départ.--L'ouragan.
La soirée fut charmante et se passa sous de frais ombrages de mimosas, après un repas réconfortant; le thé et le grog n'y furent pas ménagés.
Kennedy avait parcouru ce petit domaine dans tous les sens, il en avait fouillé les buissons; les voyageurs étaient les seuls êtres animés de ce paradis terrestre; ils s'étendirent sur leurs couvertures et passèrent une nuit paisible, qui leur apporta l'oubli des douleurs passées.
Le lendemain, 7 mai, le soleil brillait de tout son éclat, mais ses rayons ne pouvaient traverser l'épais rideau d'ombrage.