Jules Verne

Il souffrira peu désormais, et sa mort ne sera qu'un paisible sommeil. »

Le mourant prononça quelques paroles entrecoupées; le docteur s'approcha; la respiration du malade devenait embarrassée; il demandait de l'air; les rideaux furent entièrement retirés, et il aspira avec délices les souffles légers de cette nuit transparente; les étoiles lui adressaient leur tremblante lumière, et la lune l'enveloppait dans le blanc linceul de ses rayons.

Mes amis, dit-il d'une voix affaiblie, Je m'en vais! Que le Dieu qui récompense vous conduise au port! qu'il vous paye pour moi ma dette de reconnaissance!

--Espérez encore, lui répondit Kennedy. Ce n'est qu'un affaiblissement passager. Vous ne mourrez pas! Peut-on mourir par cette belle nuit d'été.

--La mort est là, reprit le missionnaire, je le sais! Laissez-moi la regarder en face! La mort, commencement des choses éternelles, n'est que la fin des soucis terrestres. Mettez-moi à genoux, mes frères, je vous en prie! »

Kennedy le souleva; ce fut pitié de voir ses membres sans forces se replier sous lui.

« Mon Dieu! mon Dieu! s'écria l'apôtre mourant, ayez pitié de moi! »

Sa figure resplendit. Loin de cette terre dont il n'avait jamais connu les joies, au milieu de cette nuit qui lui jetait ses plus douces clartés, sur le chemin de ce ciel vers lequel il s'élevait comme dans une assomption miraculeuse, il semblait déjà revivre de l'existence nouvelle.

Son dernier geste fut une bénédiction suprême à ses amis d'un jour.

Et il retomba dans les bras de Kennedy, dont le visage se baignait de grosses larmes.

« Mort! dit le docteur en se penchant sur lui, mort! »

Et d'un commun accord les trois amis s'agenouillèrent pour prier en silence.

« Demain matin, reprit bientôt Fergusson, nous l'ensevelirons dans cette terre d'Afrique arrosée de son sang. »

Pendant le reste de la nuit, le corps fut veillé tour à tour par le docteur, Kennedy, Joe, et pas une parole ne troubla ce religieux silence; chacun pleurait.

Le lendemain, le vent venait du sud, et le Victoria marchait assez lentement au-dessus d'un vaste plateau de montagnes; là des cratères éteints, ici des ravins incultes; pas une goutte d'eau sur ces crêtes desséchées; des rocs amoncelés, des blocs erratiques, des marnières blanchâtres, tout dénotait une stérilité profonde.

Vers midi, le docteur, pour procéder à l'ensevelissement du corps, résolut de descendre dans un ravin, au milieu de roches plutoniques de formation primitive, les montagnes environnantes devaient l'abriter et lui permettre d'amener sa nacelle jusqu'au sol, car il n'existait aucun arbre qui pût lui offrir un point d'arrêt.

Mais, ainsi qu'il l'avait fait comprendre à Kennedy, par suite de sa perte de lest lors de l'enlèvement du prêtre, il ne pouvait descendre maintenant qu'à la condition de lâcher une quantité proportionnelle de gaz; il ouvrit donc la soupape du ballon extérieur. L'hydrogène fusa, et le Victoria s'abaissa tranquillement vers le ravin.

Dès que la nacelle toucha à terre, le docteur ferma sa soupape; Joe sauta sur le sol, tout en se retenant d'une main au bord extérieur, et de l'autre, il ramassa un certain nombre de pierres qui bientôt remplacèrent son propre poids; alors il put employer ses deux mains, et il eut bientôt entassé dans la nacelle plus de cinq cents livres de pierres; alors le docteur et Kennedy purent descendre à leur tour. Le Victoria se trouvait équilibré, et sa force ascensionnelle était impuissante à l'enlever.

D'ailleurs, il ne fallut pas employer une grande quantité de ces pierres, car les blocs ramassés par Joe étaient d'une pesanteur extrême, ce qui éveilla un instant l'attention de Fergusson. Le sol était parsemé de quartz et de roches porphyriteuses.

« Voilà une singulière découverte, » se dit mentalement le docteur.

Pendant ce temps, Kennedy et Joe allèrent à quelques pas choisir un emplacement pour la fosse. Il faisait une chaleur extrême dans ce ravin encaissé comme une sorte de fournaise. Le soleil de midi y versait d'aplomb ses rayons brûlants.